Vivendi : un pari à 100 milliards de $
juin 2000
Avec Vivendi-Universal, J.M.Messier annonce la naissance du premier groupe capable d’intégrer contenus globaux et locaux et de les distribuer sur les nouveaux canaux numériques. Sa stratégie est de bâtir un groupe multiaccès, multicontenus, multinational et totalement intégré. Pourtant la magie ne semble plus opérer, la réaction immédiate des marchés est empreinte de scepticisme.
Une manière d’évaluer cette fusion consiste à essayer de comprendre pourquoi la transaction s’est faite, avant de se demander ce que la combinaison apporte.
Sous la direction d’Edgar Bronfman Jr le groupe Seagram n’est pas parvenu à bâtir un groupe de communication . Trois difficultés majeures ont achevé de convaincre la famille qu’il fallait se vendre au mieux. Depuis la cession à Barry Diller du contrôle des activités cable (USA Networks), Seagram avait un problème de canal de distribution. Apres la fusion AOL-TW, et CBS-Viacom, ce handicap est devenu plus manifeste encore, en effet Seagram n’a aucun débouché sur l’internet et les media numériques. Seagram aurait pu jouer une pure stratégie de contenus mais d’une part Universal Studios a connu les difficultés et les pertes que l’on sait. Quant à Universal Music, l’horizon est bouché par les problèmes de piratage (Napster) et par l’introuvable modèle économique du MP3. Enfin depuis que le groupe de spiritueux, fortement investi dans la chimie, a mué en groupe de communication, les résultats n’ont pas été au rendez vous : en termes de valorisation boursière Seagram fait piètre figure .
Sous la direction de JMMessier le groupe Générale des Eaux a opéré une mue extraordinaire mais à la veille de la fusion, Vivendi était dans un dilemme stratégique. JMMessier a fait trois paris majeurs. Le premier, dans la téléphonie mobile, est en train de buter sur l’obstacle financier. Cette activité reçue en héritage de l’ancienne CGE n’a pu être développée au niveau européen, elle est aujourd’hui grignotée au niveau national par Bouygues, demain elle sera sans doute cédée. Le deuxième, dans la téléphonie fixe, est un demi-échec, Cegetel n’est parvenue ni à inquiéter France Telecom, ni à s’imposer comme un opérateur novateur sur une quelconque niche de marché. Sans la réussite de Telecom Développement, la filiale commune avec la SNCF, l’aventure aurait tourné à la débâcle. Le troisième, dans l’internet avec AOL, est un échec. Non seulement Vivendi n’a pas réussi à offrir les contenus de qualité issus de l’univers Havas qu’il avait annoncés mais même dans l’activité ISP il n’est pas parvenu à s’imposer face à FT.
Qu’apporte donc la combinaison Seagram-Vivendi ?
Pour Canal+, la fusion signe certes sa disparition comme entité autonome mais elle lui apporte une ressource majeure : l’accès aux catalogues d’Universal. On sait que pour les chaines payantes premium, la maitrise de l’approvisioonnement en films est vital, or Canal+ assistait avec panique à la hausse continue des prix. L’intégration fait clairement sens ici.
Pour Vizzavi le portail commun à Vodafone et Vivendi, la fusion apporte, sur le papier, l’accès illimité aux mines de contenus d’Universal. Mais il faut avoir la foi chevillée au corps pour penser que 80 millions de clients sont là impatients de telecharger le dernier tube produit par Universal. Vizzavi est un immense pari sur l’internet mobile.
Pour Universal Studios qui connaît un troisième changement de contrôle en 5 ans (japonais puis canadien puis français) qui peut dire ce que donnera la gestion Lescure. L’échec n’est certes pas garanti même si peu d’étrangers ont réussi à Hollywood. Mais un fait reste acquis : avec cette acquisition Vivendi qui était un groupe de services publics locaux puis qui s’est imaginé groupe mixte mariant Environnement et Communication est aujourd’hui une Major hollywoodienne.
La stratégie de Vivendi laisse perplexe : JMMessier n’a cessé de faire des paris audacieux, il les a jusqu’ici industriellement perdus mais financièrement gagnés , faut-il voir dans ce zapping un style stratégique adapté à la nouvelle économie ou une virtuosité de banquier d’affaires servie par un marché haussier ?
Voir en ligne : La Croix