Que reste-t-il de la politique industrielle ?

février 2002

La question peut paraître incongrue en théorie et en pratique, la France n-a t elle pas renoncé sur l’autel de la construction européenne aux outils de la politique industrielle que sont la commande publique, la promotion des champions nationaux, les aides ciblées, les plans sectoriels, le protectionnisme offensif. Le Parti socialiste naguère champion des nationalisations, du volontarisme industriel et de la planification ne s’est-il pas converti à la régulation, à la libéralisation et à la privatisation. D’où vient alors que le débat sur le déclin enflamme les esprits, que la privatisation d’EdF et la résistance à Bruxelles soient du dernier chic électoral et que Dominique Strauss Kahn redécouvre un socialisme saint simonien de producteurs et vante son bilan industriel ?
La réponse tient à quelques traits spécifiques du modèle français. L’industrie continue à être perçue comme un attribut de souveraineté et la source de la création de richesses, le service public est la dernière frontière du dirigisme à la française et d’une société de statuts. Enfin l’invention sémantique continue à être la clé pour faire évoluer en pratique le peuple de gauche.
Au risque donc de décevoir nos candidats en bataille force est de rappeler quelques données de base.
Le déclin de la France est irréversible et programmé, c’est même une bonne nouvelle pour l’économie mondiale. Malgré une croissance exceptionnelle au cours des 10 dernières années, l’économie américaine a connu un fort déclin depuis 1945. Dire cela c’est simplement reconnaître que l’Europe s’est reconstruite que le Japon puis l’Asie de l’Est ont émergé et que depuis la Chine et l’Inde ont amorcé leur décollage. Du reste le discours sur le déclin n’est jamais aussi intense que quand le rattrapage est déjà à l’œuvre, ce fut le cas de la France en 1952 et des Etats Unis en 1987-1989.
Au sein de l’Europe, la France a régressé relativement aux petits pays et a convergé vers la moyenne des grands pays. C’est le signe de la réussite européenne et du prix qu’il a fallu payer pour réaliser la convergence : la moindre croissance française de 92-97 étant compensée par une meilleure performance relative de 97 à 2000. Que l’Allemagne, l’Italie, la France, et le Royaume uni soient dans un mouchoir de poche et que l’Espagne les rejoigne est le signe d’une homogénéisation de l’espace européen, propice à un développement équilibré des échanges. Que l’Irlande, le Luxembourg, fassent mieux ou aussi bien que l’Ile de France ou la Bavière n’est pas le signe du déclin de la France mais d’une comparabilité plus adaptée des petits pays avec des régions.
Globalement l’Europe a été spectatrice de la révolution des NTIC, nulle percée significative dans ces industries comme en témoignent du reste les performances en matière de productivité. Si globalement les Etats Unis sont plus attractifs que l’Europe même pour les européens cela tient d’abord à cela. On peut certes, dans le détail, noter le recul français dans les biotech, les succès de la Finlande dans les mobiles et l’administration electronique, les réussites isolées de la Bavière ou de Cambridge en matière de high tech mais globalement l’Europe a décroché. La Commission européenne depuis le sommet de Lisbonne s’est du reste fixée comme objectif d’être le meilleur utilisateur de ces technologies , pas d’en être le meilleur concepteur.
Au sein du couple franco-allemand la course-poursuite est terminée. .La France n’a jamais rattrapé l’Allemagne en matière industrielle et c’est une bonne chose. Aujourd’hui encore l’industrie allemande pèse deux fois plus que l’industrie française, la France n’a jamais pu égaler la puissance allemande dans la machine outil, la chimie lourde et de spécialités, les biens d’équipement mais aujourd’hui ce handicap est perçu comme un avantage, l’Allemagne peinant à reconvertir ses industries et ses hommes.
Sur la scène politique intérieure on est frappés de constater une étonnante convergence : gauche et droite entendent pour l’essentiel poursuivre les privatisations tout en préservant le service public, droite et gauche veulent privilégier les politiques de l’Offre productive pour stimuler la création de richesses, gauche et droite comptent au total mettre en œuvre des politiques d’environnement concurrentiel plus que des politiques industrielles. Gauche et droite enfin ont renoncé au patriotisme industriel au profit de la formation d’ensembles européens si l’on en juge par les évolutions de Rhone Poulenc, Usinor, Aerospatiale.
De ces observations trois questions émergent auxquelles on aimerait que les candidats puissent répondre : 1/Le débat sur le déclin montre que la France a implicitement choisi un modèle de travail très intensif dont les caractéristiques sont une très forte productivité horaire source de stress, un temps de travail en forte baisse -l’effet 35 heures- et un faible taux de participation -effondrement après 55 ans-. Soumis à la question, les Français feraient ils le même choix ou choisiraient ils une competitivité à l’américaine ? 2/Sur la durée, le colbertisme high tech s’est révélé très efficace dans un contexte de rattrapage et beaucoup moins quand il s’est agi de favoriser le passage à une économie de la connaissance. Les Français seraient-ils prêts à adopter ce qui ailleurs a favorisé l’irruption des nouvelles technologies à savoir des universités concurrentielles et richement dotées en fonds de recherche, un partenariat public-privé revendiqué, un statut incitatif pour le capital risque et une administration réformée et amincie, leader dans l’usage des nouvelles technologies. 3/ Grace à la bienheureuse contrainte européenne et pour permettre à EdF de respirer en levant des fonds, droite comme gauche s’apprêtent à l’autoriser à ouvrir son capital, sont-elles prêtes à tirer les leçons du fiasco France Telecom en mettant en place de véritables instances de sélection des dirigeants, de supervision stratégique et de gouvernement d’entreprise.


Voir en ligne : Les Echos