Privat’ si ; privat’ no : ça suffit

janvier 2001

pour L’Expansion, août 1999.

Débattre des nationalisations en 1981 avait un sens quand la gauche y cherchait une sortie de crise. En débattre en 1984, quand Laurent Fabius fixait la rentabilité comme seul critère de gestion aux entreprises publiques, ou en 1988 lorsque les socialistes s’ingéniaient déjà à faire "respirer" les entreprises publiques en avait déjà moins. Y revenir depuis le Congrès de l’Arche de 1991 où le P.S. a adopté sa vision à géométrie variable du secteur public, n’en a plus guère.

Gauche et droite ont depuis allègrement privatisé, la palme revenant à Lionel Jospin avec 240 milliards de francs d’encours contre seulement 140 milliards pour le tandem Juppé-Balladur. Et pourtant le débat persiste. Pour trois raisons.

La première tient au discours de la gauche. Jamais la créativité sémantique des socialistes n’a été poussée aussi loin pour habiller les données les plus limpides d’un voile rhétorique aussi opaque. Distinction entre un " secteur " public qui a vocation à voir son statut évoluer et un " service " public qu’il faut préserver : l’astuce permit la privatisation - que l’on rebaptisa " respiration " - de France Telecom. Substitution au pâle discours de la droite sur l’efficacité de la gestion privée d’un discours volontariste d’alliances industrielles européennes, etc qui permit de faire avaler au PC le cadeau de l’Aerospatiale à Lagardère. Savante gestion du temps, en refusant d’abord la privatisation d’Air France pour permettre au PC de préparer ses troupes et faire passer l’ouverture du capital de France Telecom, autrement plus rentable.

La deuxième tient au statut des entreprises. Peut-on à la fois ouvrir les marchés à l’intérieur, acheter des entreprises étrangères, refuser de doter les entreprises nationales tout en maintenant un contrôle total sur leur capital ?

La troisième tient à la substance du service public. Comment actualiser ces missions exercées par des entreprises du secteur public sur des marchés libéralisés tels que les télécommunications, le gaz ou l’électricité ? La gauche y est d’autant plus attaché que c’est un élément de sa nouvelle identité sociale-démocrate. Avec Internet et l’UMTS, elle a eu l’occasion d’en faire un axe majeur de sa politique. Elle aurait pu étendre le service universel des mobiles, offrir à chaque citoyen une connexion large bande, accélérer la diffusion de l’internet mobile. Mais le Gouvernement Jospin ou plus exactement l’Administration des Finances n’ont vu dans l’octroi des licences UMTS que l’occasion de faire rentrer de l’argent dans les caisses publiques.

Si le service public est ainsi plus un héritage qu’un projet et si l’appartenance au secteur public n’est plus qu’affaire de compromis partisan et d’appréciation du degré de mobilisation syndicale, alors on peut prévoir les évolutions suivantes.

• GdF bénéficera la première de la " jurisprudence " France Telecom. Ses missions de service public étant faibles, on peut l’assimiler au "secteur public". Exerçant sur un marché concurrentiel, elle a besoin d’alliances pour accéder à l’amont gazier. Et puis, elle est courtisée par des champions nationaux tels que EdF et Total.

• Les privatisations de la Poste et de la SNCF ne seront pas abordées de front car elles ne rapporteraient rien et seraient violemment combattues par les syndicats et la gauche plurielle sans même être soutenues par la droite. Ces sociétés seront sans doute partiellement privatisées de l’intérieur par la création d’une holding de droit privé, à l’occasion de partenariats stratégiques européens dans le frêt ou d’acquisitions dans la logistique.

Reste EdF, dernière forteresse CGT, citadelle nucléaire, poids lourd electrique européen menant de surcroît une stratégie agressive d’acquisitions. Plus complexe, son évolution ne pourra être stimulée que par une accélération de la libéralisation du marché européen.


Voir en ligne : L’Expansion