Parole d’expert : Davos
janvier 2003
Elie Cohen est économiste, directeur de recherche au Centre d’étude de la vie politique française (UMR 7048), à Paris.
Du 23 au 28 janvier 2003, le World Economic Forum (WEF), comme chaque année, rassemble à Davos, dans les Alpes suisses, les élites de la mondialisation. Longtemps, simple club européen de dirigeants d’entreprises réunis à l’initiative de Klaus Schwab, un Professeur de gestion, Davos s’est transformé au cours des dix dernières années, aux yeux de ses adversaires de l’Internationale sociale de Porto Alegre, en état major de la mondialisation libérale.
Au départ forum patronal créé en 1970 pour trouver une réponse européenne aux défis de l’inter-nationalisation des économies, il s’est progressivement élargi aux hommes politiques, aux économistes en vue, aux technostructures des Organisations Internationales, aux media et même aux artistes pour devenir un club planétaire de décideurs. En 1998, un partenariat est même créé avec l’ONU pour permettre l’implication des entreprises dans la résolution des problèmes qui affectent la planète. Outre les grandes messes annuelles, le WEF publie chaque année un rapport sur la compétitivité des nations qui permet d’étalonner les performances, de dénoncer les erreurs et de recommander les bonnes pratiques. Même si ce rapport offre l’apparence de l’objectivité et répond au goût des classements, un regard porté sur la méthodologie en révèle pourtant les fragilités et les légèretés. La compétitivité des nations, jamais conceptuellement définie, est ce que les auteurs décident qu’elle doit être. Comme la compétitivité est sensée annoncer la croissance future, on découvre que les déterminants de la croissance n’empruntent pas à l’état de l’art de la discipline et que de surcroît ils sont mesurés par des indicateurs quantitatifs contestables et des indicateurs qualitatifs fragiles dans leur définition et dans leur validité statistique. En fait ces classements visent à délivrer un message étonnamment proche du consensus de Washington en matière macroéconomique (stabilité des prix, équilibre budgétaire, ouverture des frontières, libre circulation des capitaux) et de l’avantage compétitif de Porter en matière microéconomique.
Alors que conclure sur l’influence du WEF ?
Davos n’est pas l’état major de la mondialisation libérale. Ce sont les Etats qui ont libéralisé, déréglementé, ouvert les frontières, institué l’OMC, renforcé les pouvoirs du FMI, multiplié les conventions environnementales et sanitaires, institué l’Union européenne ou les autres regroupements régionaux. Ce sont aujourd’hui les institutions internationales du système ONU ou Bretton Woods qui régulent la planète. On peut discuter cette thèse en attribuant la mondialisation à la dynamique capitaliste, à la pression du progrès technique, il reste que des Etats ont du renoncer à des prérogatives nationales pour organiser cette mondialisation.
Davos n’est pas non plus un simple club. La réunion des « global players » n’est pas qu’anecdotique. Les modes théoriques et les concepts chatoyants sont souvent consacrés à Davos : La Nouvelle Economie, l’entreprise globale, la fin des cycles, la fracture numérique, etc. Le forum a par ailleurs une vertu non dissimulée : offrir la plus grande foire au lobbying pour les industriels comme pour les nouveaux dirigeants politiques. Réseau de dirigeants organisés pour conforter la mondialisation et promouvoir une gestion libérale des économies, le forum entend aussi faire jouer un rôle grandissant aux dirigeants industriels en avançant sous le triple étendard de la conscience morale (refus des guerres, des discriminations, de la pauvreté), des responsabilités globales (l’environnement, les migrations, les épidémies, la multiplication des risques globaux) et de la faillite relative des Etats. Au sommet de la terre de Johannesburg, on a pu voir une concrétisation de cette démarche avec l’annonce des premiers partenariats publics privés (PPP). La volonté d’implication citoyenne des entreprises dans la résolution de problèmes comme le Sida, la pauvreté ou l’accès à l’eau, est l’illustration t de cette nouvelle quête de légitimité.
Encadré (définition) :
Consensus de Washington : Ensemble de politiques libérales promues par la banque Mondiale et le FMI pour favoriser la transition des ex-pays communistes et le décollage des pays sous-développés
Porter entend transposer dans l’ordre macroéconomique les déterminants microéconomiques de la compétitivité à savoir l’innovation, la différenciation produit la maîtrise des coûts par, la concurrence,
C’est à Bretton Woods (USA) après guerre qu’ont été crées le FMI et la Banque Mondiale et qu’ont été jetées les bases de l’ordre économique d’après guerre fondé sur la convertibilité des monnaies et l’aide au développement
Voir en ligne : Revue du CNRS