La « nouvelle économie » énergétique
février 2006
Pétrole, Carbone, Libéralisation tels sont les trois éléments à la base de la formidable recomposition énergétique en cours. Au delà des OPA et contre OPA, des valorisations stratosphériques d’Edf ou d’Endesa, des réactions de panique des gouvernements nationaux ce sont des enjeux de fond qui contribuent à façonner le paysage énergétique européen.
Les trois coups ont été donnés à Bruxelles avec la libéralisation par étapes des marchés énergétiques, à Kyoto avec l’institution d’une économie du carbone pour préserver le sort de notre planète, en Chine et en Russie avec la flambée des prix du gaz et du pétrole.
Premier terme de l’équation de la nouvelle économie : le pétrole. La flambée des prix du gaz et du pétrole a eu un effet déflagratoire sur le marché de l’énergie et ce pour plusieurs raisons. La première tient au constat de la fin du pétrole bon marché du fait de la montée des besoins des pays émergents, de la difficulté de trouver de nouveaux gisements et donc de la perspective d’un pétrole rare et cher. L’indexation du gaz sur le pétrole a un effet direct sur la nouvelle économie électrique : un gaz cher c’est une électricité dont le prix s’envole pour les opérateurs alternatifs et leurs clients. Dans ce nouveau monde ceux qui ont fait le choix d’un bouquet énergétique à dominante nucléaire ou hydraulique comme EdF ou Electrabel sont donc dans une bien meilleure position que les exploitants qui comme Eon ou Enel ont fait d’autres choix.
Deuxième terme : le carbone. A Kyoto le monde s’est donné pour mission de sauver la planète en plafonnant puis en réduisant l’émission des gaz à effet de serre. Depuis des marchés de droits à polluer ont été créés et le prix de la tonne de carbone est à la hausse. L’accélération du réchauffement de la planète annonce une réduction supplémentaire des droits à polluer, un Kyoto 2 est en vue. Pour les énergéticiens les plus polluants, l’accès à des énergies propres est vital. A nouveau, la pression est à la hausse des prix et à la recherche de sources propres de production d’électricité.
Troisième terme : la dernière étape de la libéralisation européenne. Les grands opérateurs électriques assis sur des monopoles verticalement intégrés nationaux ou régionaux ont assisté au cours des dernières années à une volonté marquée de Bruxelles d’ouvrir les marchés, de démanteler les monopoles, et de favoriser l’émergence d’opérateurs alternatifs. Les deux premières phases de la libéralisation ont conduit les opérateurs historiques à chercher chez leurs voisins des relais de croissance, c’est ainsi qu’Edf s’est implantée en Italie et qu’Eon cherche aujourd’hui à s’implanter en Espagne. Les sociétés à vendre étant rares, les prix montent.
Mais cette équation énergétique recèle des contradictions que la situation présente révèle.
Si le mouvement actuel de concentration est mené à son terme, on assistera à l’émergence d’un oligopole européen formé de quelques acteurs issus des anciens monopoles nationaux. L’objectif européen d’une concurrence se développant d’abord sur les territoires nationaux puis diffusant à l’échelle européenne grâce aux interconnexions aux frontières aura vécu. La baisse des prix du gaz au moment des premières étapes de la libéralisation avait favorisé l’émergence de nouveaux acteurs. Dans le nouveau contexte, ils n’ont guère d’avenir.
Deuxième contradiction, entre patriotisme économique et intégration européenne. La longue bataille du Gouvernement italien contre la prise de contrôle d’Edison par Edf, la volonté actuelle de Zapatero de barrer la voie à Eon et celle de Villepin de prévenir l’Opa d’Enel sur Suez sont autant de manifestations de patriotisme économique et de défiance à l’égard du mouvement actuel de consolidation. Mr Bernotat, patron d’Eon a pu dire récemment qu’à terme seuls trois acteurs européens se partageraient le marché européen mais les gouvernants des principautés nationales tiennent absolument à préserver et à promouvoir leurs champions nationaux.
Dernière contradiction, enfin, entre libéralisation et hausse des prix. Les effets de la hausse du coût des énergies primaires, les exigences de la lutte contre l’effet de serre, la nécessité de renforcer l’investissement pour obtenir un niveau raisonnable de sécurité dans la fourniture : tout milite pour une hausse des prix à laquelle peuvent seuls échapper ceux qui disposent d’un parc nucléaire ou hydraulique. Cela signifie que pour permettre aux nouveaux entrants de survivre il faut obliger les Edf et autres Electrabel ou Vattenfall à augmenter leurs prix. Une concurrence gérée par le régulateur qui aboutit à la hausse des prix pour nécessaire qu’elle soit est invendable aux citoyens.
Une conclusion s’impose : quelle que soit l’issue des grandes manoeuvres électriques, elles ont déjà fait une victime : le modèle européen de régulation électrique.
Voir en ligne : Le Nouvel économiste