« La France vit au-dessus de ses moyens » : réponse à Thierry Breton
juin 2005
Ainsi la France « vivrait au dessus de ses moyens » ce parler vrai a fait sensation, mais il a aussi ses exigences.
Non, un Etat ne fonctionne pas comme un ménage : les déficits et l’endettement n’ont pas le même sens lorsqu’on dispose du monopole de la taxation ou que l’insolvabilité personnelle vous mène devant les tribunaux. La vraie question est ailleurs : pourquoi, seule parmi les pays développés, la France, a accru au cours des 10 dernières années la part de la dépense publique dans le PIB ?
Non, les niveaux de dettes et de déficits de la France ne sont ni sans précédents ni sans cas équivalents. Sur les 10 dernières années, la moyenne annuelle des déficits publics en pourcentage du Pib aura été de 5,7% au Japon contre 2,7% dans la zone euro et 3,2% pour la France. La dette publique au Japon est de 140% du PIB contre 65% pour la France et plus de 70% pour la zone Euro. Le vrai problème est ailleurs, la France engrange des déficits en haut comme en bas de cycle, à la différence des Etats Unis par exemple.
Non, le drame de la France ne vient pas des 35 heures et la panacée n’est pas de faire travailler plus ceux qui travaillent déjà beaucoup. Nombre de rapports l’ont établi : la France fait supporter aux jeunes et aux séniors les ajustements de l’emploi, cependant que les actifs entre 25 et 50 ans sont hyperproductifs. Il est dés lors paradoxal de ne rien entreprendre pour les « insiders » et de flexibiliser l’emploi des outsiders.
Enfin que valent les proclamations alarmistes si les propositions ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et si de surcroît les timides réformes passées sont émasculées. Quel crédit accorder à un Etat qui fait appel au sens des responsabilités des citoyens, qui mobilise les syndicats pour d’interminables négociations qui demande l’onction de la représentation nationale pour défaire ce qui a été péniblement acquis quand les vents contraires se lèvent ou qu’une échéance électorale pointe à l’horizon.
La découverte étonnée d’un constat mille fois répété depuis 1978 ne doit pas pour autant le disqualifier.
Oui, Thierry Breton a incontestablement raison quand il rappelle que la France s’offre son modèle social à crédit.
Malgré un budget social qui atteint près de 30% du PIB, malgré les inventions fiscales continues CSG, CRDS ... et un élargissement des assiettes fiscales le déficit est toujours là et pour la première fois depuis 20 ans on a même renoncé avec le plan Douste Blazy à rechercher l’équilibre du régime d’assurance maladie. Si l’on ajoute que tout ceci intervient à la veille de la grande vague du « papy boom » on reste interdits devant la légèreté de nos dirigeants. En défendant l’intangibilité du modèle social français, en prétendant contre l’évidence qu’on pouvait concilier hausse du pouvoir d’achat et baisse d’impôts, lutte contre le chômage et gel des normes sociales, maîtrise des finances publiques, croissance et protection des rentes l’actuel Président n’a certes pas contribué à la pédagogie nécessaire .
Avec une croissance appelée à rester faible, un chômage qui au mieux cessera de progresser, les déficits constatés ne peuvent se résorber.
Alors que faire ? Il faut retrouver le chemin de la croissance dit fort justement Thierry Breton.
On ne va pas ici refaire le catalogue des réformes structurelles,macro et micro économiques. Chacun sait qu’il faut libéraliser les marchés du travail des biens et services et des capitaux, abaisser le coût du travail non qualifié, lever les désincitations à l’embauche des seniors. Chacun sait qu’il faut redéfinir nos spécialisations et mobiliser les moyens dans ce sens (R&D, Enseignement supérieur, usages des nouvelles technologies). Chacun sait enfin que les maigres marges de manœuvre disponibles doivent être consacrées aux dépenses qui ont le plus fort effet de levier en termes de croissance et non être dilapidées au profit des lobbies les plus sonores. (TVA sur la restauration ou baisse de l’IRPP).
Entre le constat et l’action, il y a un fossé : celui de la légitimité qui confère la crédibilité.
Voir en ligne : Le Nouvel économiste