le programme commun de la France : Adopter un pacte national de stabilité

vendredi 22 décembre 2006

Par Olivier Garnier,
directeur général adjoint de la Société Générale Asset Management

La nécessité de réduire notre endettement public ne résulte pas seulement de nos engagements européens . Il s’agit d’abord et surtout d’un impératif interne.

Comme suite au retour du besoin de financement public sous le plafond de 3 % du PIB, la procédure de « déficit excessif » ouverte en 2003 par l’Union européenne à l’encontre de la France devrait être officiellement levée d’ici au début de 2007. Face à ce dénouement, les candidats aux élections présidentielles devront éviter deux erreurs d’interprétation. La première serait de considérer que toute cette affaire a surtout mis en évidence la « stupidité » du Pacte européen de stabilité et de croissance, et que, à défaut de pouvoir l’abroger, il conviendra à nouveau de s’abstraire de ses règles à chaque fois que cela sera opportun.

Or, comme l’a rappelé avec force le rapport de la Commission Pébereau, la nécessité de réduire notre endettement public ne résulte pas seulement de nos engagements européens : il s’agit d’abord et surtout d’un impératif interne, afin de regagner une capacité d’action pour répondre aux défis à venir, qu’ils soient économiques, sociaux ou démographiques. L’erreur inverse serait de penser que, au-delà de quelques dérapages transitoires, le Pacte de stabilité et de croissance a finalement bien joué son rôle disciplinaire, et qu’il peut à lui seul assurer un cadrage satisfaisant de nos finances publiques sur le moyen terme. Ce n’est clairement pas le cas : les évolutions constatées depuis l’entrée de la France dans l’Union monétaire ont en effet mis en évidence des dysfonctionnements majeurs et répétés, traduisant un manque de cohérence entre nos procédures budgétaires internes et les engagements pris au niveau européen.

Stopper le dérapage des dépenses

Le signe le plus manifeste de ces dysfonctionnements réside dans notre incapacité récurrente à respecter les normes de progression des dépenses que nous nous fixons. De fait, contrairement à une idée répandue, la divergence par rapport à nos objectifs européens a résulté non pas d’une croissance trop faible de l’activité, mais d’un net dérapage des dépenses. En effet, depuis l’entrée dans l’euro (1999-2005), le volume du PIB a augmenté en moyenne d’environ 2,1 % par an, soit un rythme voisin de celui de la croissance potentielle de l’économie française. En outre, sur cette même période, le taux de prélèvements obligatoires est resté à peu près inchangé, et les recettes totales des administrations publiques ont évolué globalement en ligne avec le PIB : il n’y a donc pas eu non plus de manque à gagner de ce côté-là. En revanche, les dépenses de l’ensemble des administrations publiques (Etat, collectivités locales et Sécurité sociale) ont augmenté beaucoup plus vite que prévu : hors inflation, elles ont crû en moyenne de 2,4 % par an, alors que tous les programmes de stabilité présentés par la France depuis 1999 ont affiché - et continuent de le faire - une norme de progression comprise entre 1 % et 1,5 % par an. Ainsi, si cette norme avait été respectée, les administrations publiques auraient finalement dégagé, à croissance et prélèvements inchangés, un excédent de l’ordre de 0,5 % du PIB en 2005, au lieu du déficit de 2,9 % du PIB effectivement constaté.

Pour remédier à cette incapacité à maîtriser l’évolution de nos dépenses publiques et à respecter les normes fixées, il n’y a pas d’autre issue que d’adapter en profondeur nos procédures internes en matière de gouvernance, de programmation et de régulation des finances publiques. Il convient à cet égard de souligner que la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), mise en application pour la première fois dans le cadre du budget 2006, ne répond pas directement à cette préoccupation : elle a été conçue à l’origine comme un outil de modernisation de la gestion de l’Etat, plutôt que de cadrage des finances publiques dans leur ensemble. Néanmoins, comme viennent de le recommander ses deux pères-fondateurs, MM. Lambert et Migaud, la LOLF ne pourrait que gagner à être complétée par des dispositions allant dans ce sens.

Quels sont les problèmes à résoudre ? Tout d’abord, en matière de gouvernance, le gouvernement prend au niveau européen des engagements qui concernent l’ensemble des administrations publiques, alors même que les dépenses locales et sociales échappent largement à son pilotage. Il n’est donc pas étonnant que les dérapages en matière de dépenses aient davantage concerné la Sécurité sociale et les collectivités territoriales que le budget de l’Etat. La solution n’est sans doute pas de mettre les finances locales et sociales sous la complète tutelle de l’Etat. A l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, il conviendrait plutôt d’instaurer une sorte de pacte « national » de stabilité, dont les objectifs et les règles d’ajustement des finances publiques ne relèveraient plus seulement d’une contrainte externe européenne, mais seraient complètement assumées et partagées par l’ensemble des institutions concernées : Parlement, gouvernement, collectivités locales et Sécurité sociale.

Pour une véritable programmation pluriannuelle

Deuxièmement, les programmes de stabilité présentés par la France au niveau européen ont un caractère complètement artificiel, puisqu’il n’existe pas, au plan interne, de véritable procédure pluriannuelle. Les programmes de stabilité se résument à de purs exercices de projection réalisés par le seul ministère des Finances, sur la base d’hypothèses complètement conventionnelles et ne traduisant aucun engagement des différentes parties concernées. Il est donc urgent de mettre en place une véritable programmation pluriannuelle de nos finances publiques et sociales. S’agissant du budget de l’Etat, la LOLF offre de ce point de vue une excellente opportunité : les gestionnaires publics seront mieux responsabilisés s’ils disposent d’objectifs clairs à un horizon de plusieurs années. De même, la réforme de l’assurance maladie devrait être complétée par des mécanismes de programmation et d’ajustement des dépenses dans un cadre pluriannuel.

Enfin, en matière de régulation, des dysfonctionnements sont clairement apparus, tant du côté du budget de l’Etat que de l’assurance maladie. S’agissant de l’Etat, comme on l’a bien vu à la fin des années 90 avec le débat sur la « cagnotte », il existe une tendance à dépenser les plus-values de recettes durant les phases de forte croissance, ce qui contraint ensuite à des ajustements procycliques douloureux en période de « vaches maigres ». L’amendement à la LOLF adopté en 2005, qui oblige à préciser dans la loi de finances initiale l’affectation d’un éventuel surplus de recettes, réduit ce biais sans toutefois le corriger complètement : d’une part, il n’impose pas que ce surplus soit consacré en priorité au désendettement ; d’autre part, il n’empêche pas de dilapider les fruits d’une forte croissance lorsque celle-ci est anticipée dès la construction de la loi de finances. Pour remédier à ce deuxième problème, une solution serait d’imposer la constitution d’une réserve de précaution lorsque le budget est bâti sur une hypothèse de croissance supérieure à la tendance de long terme. S’agissant de l’assurance maladie, l’objectif national de dépenses (ONDAM) voté par le Parlement est fréquemment dépassé, sans que cela donne lieu à des corrections en cours d’année ou au moment de la fixation de l’objectif de l’année suivante. Comme recommandé par la Commission Pébereau, il conviendrait donc que les lois de financement de la Sécurité sociale prévoient ex ante le déclenchement automatique de mesures de rééquilibrage en cas de dépassements des objectifs d’une année sur l’autre.

Toutes ces orientations devraient constituer l’ossature d’un véritable pacte national de stabilité, dont l’impérieuse nécessité a malheureusement été occultée par l’ampleur disproportionnée prise en France par le débat sur la réforme du pacte européen.


Voir en ligne : Le Nouvel Economiste