Crise des universités : l’éternel retour

mai 2006

La France vient de se livrer avec le CPE à l’un de ses psychodrames coutumiers. La séquence en est immuable : réforme autoritaire, soulèvement du peuple étudiant, socialisation politique d’une classe d’âge dans la rue, appel au souverain, retrait de la loi, institution solennelle d’une commission ... pour enterrer le problème !
Certes la critique de la Commission Emploi-Université est aisée mais comment ne pas y céder quand on sait que le débat sélection-orientation avait déjà opposé le Général de Gaulle à Georges Pompidou au début des années 60. L’un comme l’autre croyait que l’enseignement supérieur était crucial pour une nation moderne et compétitive. Le premier voulait une sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur car c’est ainsi qu’on pouvait adapter les formations dispensées aux qualifications requises. Le second connaissant l’attachement des Français au libre accès à l’université préféra promouvoir l’orientation, avec le succès que l’on sait. Quarante ans après la musique est la même. L’adaptation de notre enseignement supérieur à l’avènement des nouvelles technologies de l’information et à l’intensification de la concurrence mondiale est urgente. En quarante ans, on peut même dire que la situation s’est aggravée puisqu’aux problèmes de l’inadéquation formation-qualification se sont ajoutés les problèmes de l’université de masse : échec massif aux DEUG à une extrémité, médiocrité commune des universités françaises sur les critères d’excellence, à l’autre.

Pour autant il faut résister à la tentation de la remise en cause radicale (sélection + autonomie des universités + participation financière des étudiants) car c’est la voie de l’échec programmé. Il faut écarter dans un même mouvement les revendications des syndicats étudiants (salaire étudiant + parcours non sélectif jusqu’au doctorat + emplois jeunes). S’il est vrai que la condition des universités françaises est misérable, y mettre davantage de moyens ne ferait qu’aggraver le problème.

La réforme nécessaire et ambitieuse que réclame l’université française doit emprunter des voies pragmatiques et progressives.
Les évolutions intervenues ces quinze dernières années montrent que la voie d’une adaptation progressive, souterraine, continue est possible. En témoignent le renforcement des universités au détriment des anciennes facultés, la définition de politiques d’établissements , le développement des cursus professionnels et la réorganisation des cycles universitaires autour du système du LMD (L=Bac+3, M=Bac+5, D=Bac+8).

La méthode que nous proposons [1] suppose de jouer sur des leviers existants : utiliser la dynamique européenne pour favoriser la coopé-tition entre universités françaises et étrangères ; encourager les universités à développer des formations qualifiantes et des diplômes professionnels ; encourager les expériences, du type de celle menée par Sciences-Po Paris, d’intégration volontariste des élèves de milieux défavorisés.

Pour ce faire, il faut des moyens supplémentaires affectées à deux nouvelles agences.
Une première agence, bâtie sur le modèle de l’Economic and Social Research Council au Royaume-Uni aurait pour mission de sélectionner des projets coopératifs de recherche et d’enseignement, de financer des bourses post-doctorales, de financer la création de nouveaux centres de recherche et enfin d’encourager la création de réseaux, regroupements et alliances entre différentes équipes universitaires sur des sujets d’intérêt commun. Cette agence permettrait ainsi l’émergence de pôles d’excellence, aux moyens diversifiés et dont l’activité serait régulièrement évaluée.

Une seconde agence aurait pour mission d’aider les universités en difficulté (universités trop petites ou à fort taux d’échec) à se restructurer. Rien n’est plus deséspérant pour les jeunes, pour leurs familles que la trahison de la promesse scolaire. Les échecs au DEUG, les cursus sans débouchés, les diplômes assignats minent l’université et la société. Une telle Agence passerait contrat avec une université en difficulté pour favoriser l’éclosion d’une formation qualifiante ou d’un pôle disciplinaire d’excellence tout en élevant le niveau moyen de performance de tous les étudiants.

L’objectif est de parier sur la vertu des bonnes incitations et sur le caractère contagieux des bonnes pratiques. La difficulté en France est que tout projet de réforme vient buter sur la « querelle des préalables ». Il est difficile de réclamer des moyens nouveaux à un Gouvernement en butte à des difficultés budgétaires chroniques. Il est difficile de demander à des personnels qui vivent au quotidien les ravages de l’attrition de moyens de commencer par faire le sacrifice de leurs statuts. Mais comme nul ne conteste l’ampleur de la crise et la modicité des moyens alloués à l’enseignement supérieur, la méthode incitative et discrétionnaire mérite d’être essayée.


Voir en ligne : Le Nouvel économiste