Entretien au Nouvel Économiste

avril 2003

Comment pensez vous que va intervenir l’ouverture du capital d’EDF ?

Le problème essentiel tient au fait que le gouvernement et l’entreprise poursuivent des objectifs partiellement contradictoires. EDF a un besoin vital de restructuration bilantielle. L’Etat a besoin de réduire son déficit. EdF s’est livrée au cours de ces dernières années de toute une série d’acquisitions qui ont accru son endettement. Ses fonds propres sont donc relativement modestes alors qu’elle a besoin d’argent frais pour continuer à investir dans les entreprises acquises, notamment en Italie. Une éventuelle ouverture du capital ne se justifierait que par la capacité qu’EDF aurait à lever des capitaux frais pour financer sa croissance...Et ce d’autant qu’au cours de ces dernières années le gouvernement n’a pas tenu ses engagements qui étaient pourtant prévus dans les contrats de plan et n’a pas versé à l’entreprise ce qu’il lui devait, sous forme de hausse tarifaire ou de compensations du rôle de service public ou d’achat d’énergie issu de la cogénération ou de l’éolien. L’Etat. a une autre logique : il dispose de l’une des dernières belles affaires « privatisables ». EdF pourrait rapporter beaucoup d’argent à un Etat impécunieux si le contexte s’y prête. Besoin de refinancement d’un côté souhait d’équilibre budgétaire de l’autre, les objectifs auraient pu être conciliés si le contexte boursier n’était devenu detestable.

Quelle incidence a la réorganisation du système de financement des retraites EDF ?

Une énergie considérable a été dépensée pour cette opération préparée de très longue date avec de grands sacrifices pour l’entreprise et l’Etat. Elle devait ouvrir la voie triomphale vers l’ouverture de capital. Mais cela ne s’est pas bien passé. Du coup, l’ouverture du capital va se faire dans un contexte social moins pacifié qu’on avait pu l’espérer. Comme de surcroît les marchés financiers sont dans une situation épouvantable, Le pronostic pour une ouverture du capital rapide devient défavorable. Mais si l’Etat réduit ses ambitions sur la valorisation de l’entreprise, s’il réduit ses prétentions sur l’apport net d’argent frais et si l’Etat donne à EDF, par des augmentations de tarifs les moyens de mieux se porter financièrement et si l’entreprise accepte de différer ses projets de croissance on peut imaginer une opération qui se déroulerait avant fin 2004 mais qui ne sera pas de toute manière très rentable, ni pour l’un, ni pour l’autre.

Quelles conséquences voyez vous à la libéralisation du marché français de l’énergie ?

Il se pose dans des problèmes relativement simples. L’expérience montre que lorsque l’on passe d’une situation de monopole de service public verticalement intégré à la concurrence, comme on a pu le voir avec les télécoms par exemple, l’effet majeur de l’ouverture , ce n’est pas tant les parts de marché perdus par l’opérateur dominant que la pression exercée sur les prix. On a bien vu dans les télécoms que ceux qui souffrent ce n’est pas France Télécom mais ses nouveaux concurrents...qui sortent du jeu les uns apres les autres...Ils auront obligé France Télécom à baisser massivement ses prix et à transférer une partie de la rente ; qui avait été dissipée jusque là au sein de l’Etat, aux consommateurs. Mais il ne faut pas attendre de fortes baisses de prix dans l’électricité. Les nouveaux entrants n’ayant pas accès à la rente d’un nucléaire amorti ne peuvent vraiment faire souffrir EdF, sauf à faire bénéficier les concurrents du parc d’EdF. Ce qui determine le prix, en l’absence d’une vraie concurrence européenne, c’est la qualité du mix energétique national. Structurellement, le prix de l’électricité sera bas en France par rapport à des pays qui dépendent soit du pétrole, soit du gaz.


Voir en ligne : Le Nouvel économiste