UMTS : promesses technologiques et risques financiers
février 2001
Rien n’y fait, ni la célébration de l’UMTS par notre plus grand vulgarisateur scientifique, Michel Serres, ni les premières démonstrations de matériel à Cannes, ni la publication de calendriers réalistes de déploiement ; la crise que connaissent actuellement les équipementiers et les opérateurs de Télécommunications enfle chaque jour davantage. Non seulement elle douche l’enthousiasme des chantres européens de la "Nouvelle économie" qui y voyaient la promesse du rattrapage européen dans l’une des technologies génériques de la 3ème révolution industrielle, mais de plus l’impensable commence à être évoqué.... Et si l’UMTS était notre nouvelle tulipomanie, notre nouvelle electromanie .
Mais avant d’envisager des scénarios extrêmes, il importe de faire la radiographie de cette crise . Il y a quatre lectures possibles .
La première, fondamentalement optimiste, est basée sur les travaux des meilleurs économistes de l’innovation. En substance l’expérience de la diffusion des innovations vraiment révolutionnaires montre qu’on en surestime toujours dans le court terme les effets et qu’on en sous estime toujours les effets à long terme. L’électricité en son temps a mis près de 40 ans nous rappelle Paul David avant de livrer son vrai potentiel. Entre temps la fièvre boursière avait produit ses excès à la hausse comme à la baisse.
La deuxième, moins optimiste, renvoie aux travaux des économistes politiques, l’UMTS constituerait un cas d’école d’une erreur de design institutionnel. La Communauté Européenne aurait agi avec frivolité en décidant le passage accéléré à l’UMTS sans procédure d’harmonisation des modalités d’attribution des licences et alors même que la technologie n’était pas disponible. Le fait que le Japon et les Etats Unis ne connaissent pas les mêmes problèmes en fournirait la preuve.
La troisième, plus inquiétante, met en exergue la rapacité de gouvernements âpres au prélèvement fiscal et qui auraient tué une innovation par impatience. Des entreprises victimes d’une telle prédation fiscale et durablement affaiblies par leur endettement deviendraient plus timides dans les déploiements des nouveaux services compromettant ainsi un marché prometteur.
La dernière, franchement terrifiante, voit dans l’UMTS la "tulipomanie" des temps modernes. Depuis la nuit des temps, chaque génération fait l’expérience de sa bulle spéculative. Pour la génération des "traders on line" l’UMTS est cette éxpérience : tout y est la surestimation du potentiel d’un objet technique, la réfutation des modèles classiques d’évaluation, les surenchères dans les estimations, la contagion du sentiment d’euphorie, les comportements grégaires d’achat, l’échange de promesses plus que de titres, l’arrivée au plus haut des petits porteurs, le refus des analyses contraires . Jusqu’au jour du retournement.
Que penser de ces quatre lectures ?
Il est probable que le design institutionnel européen a été exécrable, il est incontestable que les Etats par appétit fiscal se sont engouffrés dans les failles du dispositif.
Mais cela serait négligeable si l’internet était l’électricité de notre temps. Or autant on peut estimer que les trois révolutions numériques des 40 dernières années avec d’abord l’informatique centrale, puis l’informatique distribuée par les réseaux et enfin l’internet multimedia ont grandement contribué à la croissance et aux gains d’éfficacité productive, autant il apparaît à peu près acquis que la dernière vague d’innovation n’a rien à voir avec celle de la deuxième révolution industrielle qui nous a donné faut il le rappeler l’automobile, la chaîne de production, l’avion, le téléphone, la télévision et l’hygiène moderne. Il est probable que l’internet contribuera à transformer la sphère des échanges. On peut faire par ailleurs confiance aux consommateurs pour qu’ils inventent des usages nouveaux avec les objets nomades qu’ils auront dans leurs mains. Il faut du reste beaucoup d’innovations de ce type pour maintenir le rythme soutenu de croissance que nous connaissons, delà à justifier les discours hyperboliques qui ont nourri la bulle financière, il y a un pas qui n’aurait pas du être franchi.
Or précisément les opérateurs ont cédé à la pression des marchés. France Telecom a payé en cash à un prix excessif Orange au nom des promesses de l’UMTS et pour rester crédible auprès des marchés. Piège fatal.