UMTS : la rente ou le marché
mai 2000
Lorsqu’un bien public rare est l’objet d’une forte demande pour un usage privé, lorsque les demandeurs sont des acteurs responsables et solvables, la seule procédure qui concilie efficacité allocative, éfficacité productive, équité et moralité publique est celle des enchères ouvertes et transparentes. Que valent alors les arguments jusqu’ici avancés par Bouygues, l’ART, les industriels, justifient-ils malgré tout l’adoption de la soumission comparative ?
Le premier argument relève de la logique classique de la politique industrielle, il s’agit de demander à l’Etat de protéger les acteurs nationaux, réputés plus faibles, par rapport à des « prédateurs » exterieurs. Ainsi Bouygues, sans l’aide de l’Etat ne pourrait faire face aux enchères et serait de fait poussé dans les bras de Deutsche Telekom. La réponse est simple : DT ou KPN ou Telefonica sont des acteurs du marché domestique européen comme Bouygues, l’intérêt national n’est en rien menacé par un changement de contrôle. Si par contre il s’avérait que les enchères européennes conduisaient à une excessive concentration, ce serait la tache de la DG4 d’y mettre bon ordre.
Le deuxième argument paraît plus sérieux : l’absence de visibilité sur le marché du mobile internet rend la rentabilisation de l’investissement aléatoire, il serait prudent de ne pas charger la barque des opérateurs pour ne pas limiter le déploiement et ne pas alourdir la facture du consommateur final. Admettons, mais comment alors trancher entre candidats ? Le moteur du capitalisme réside dans le risque que prend l’entrepreneur, le profit en est d’ailleurs la sanction . L’Etat n’a pas une science du marché supérieure, l’efficacité productive est du ressort de l’entrepreneur, la procédure d’enchères est donc la plus adaptée.
Les arguments du service public et de l’aménagement du territoire font sourire : alors que les villages ruraux se dépeuplent même de leurs boulangers, que les banlieues difficiles ne parviennent pas à disposer de services publics de base, l’Etat devrait renoncer à 200 milliards de francs pour que tous les français soient égaux devant l’UMTS ! Plus sérieusement, il s’agit ici d’un problème classique d’éfficacité allocative : l’Etat peut faire un meilleur usage de l’argent des licences que de le laisser aux opérateurs pour favoriser le développement de l’internet mobile.
Les tenants de la soumission comparative avancent un dernier argument en faveur de l’intervention publique : la prévention d’un risque systèmique. L’inflation des valorisations boursières des firmes telecom justifieraient leurs surenchères irrationnelles pour l’obtention de licences au risque de la faillite, seul l’Etat pourrait arrêter la mécanique. Ce problème illustre de manière éclatante le défaut de régulation du secteur et l’urgence de la constitution d’aune autorité européenne. Si le Gouvernement français venait à intérioriser cette contrainte pendant que les autres Etats procèderaient à des enchères alors il s’amputerait du produit des licences sans régler le problème systémique.
Mais trop de biens nuit, l’abondance d’arguments en faveur de la soumission comparative étonne. Alors quoi ! l’Etat ne serait dans son rôle que quand il distribuerait des biens publics rares générateurs de rentes à des acteurs privés. A t on oublié que le cours de bourse de Bouygues a été multiplié par 5 depuis qu’il reçu quasi-gratuitement une licence GSM.
Enfin lorsque l’ART se cabre et tonne en faveur de la soumission comparative, on se prend à douter, d’où lui viennent ces certitudes , du consensus des assujettis ? on appelle çà une capture du régulateur, des succès passés ? a t on oublié l’attribution d’un préfixe « E » à Omnicom qui devait favoriser l’émergence d’un acteur industriel national et qui a fabriqué en une nuit des milliardaires en francs apres cession à un groupe américain ?
En conclusion, il y a dans le déploiement de l’UMTS des risques de marché incontestables, mais mis en balance avec l’interet public, et les risques liés à l’exercice discrétionnaire de la distribution de rentes il n’y a pas à hésiter : la procédure d’enchères est la plus efficace , la plus équitable et aussi la plus morale.
Voir en ligne : L’Expansion