Sauve qui peut !
janvier 1999
La Défense est une activité régalienne. Le marché de l’armement est dominé par les Etats. A travers les programmes coopératifs ou nationaux qu’ils décident, l’effort de recherche qu’ils financent, et les marchés publics qu’ils passent, les Etats définissent le degré d’autonomie technologique et industrielle des acteurs nationaux. Le rôle de l’industriel n’est ni de veiller à l’aménagement du territoire, ni d’assurer aux ouvriers d’Etat issus des arsenaux un emploi à vie, il est de faire mieux que ses concurrents quand il en a ou d’offrir le meilleur rapport qualité/prix pour un programme donné.
Si ces trois principes élémentaires avaient été bien compris par les différents Gouvernements français, nous aurions évité l’aveu de faiblesse que constitue la paralysie d’Airbus. Nous aurions surtout échappé à la marginalisation de l’industrie de défense française. Il y a cinq ans, l’industrie française de défense était incontournable, Dasa, Gec et Bae constituaient autant de partenaires empréssés pour Thomson et Aérospatiale. Dassault, étonnait avec son Rafale, pendant que l’Eurofighter restait dans les limbes. Cinq ans plus tard, à force de demi-mesures, d’hésitations permanentes entre maniement des symboles et stratégies d’entreprise, de confusion des genres entre Etat stratège, actionnaire et acheteur public ; nos gouvernants en sont réduits à assiter en spectateurs bougons à un spectacle qui les dépasse. Comment en est on arrivés là ?
Une industrie européenne fragmentée et surcapacitaire, dont les marchés se contractent du fait de la baisse des budgets d’acquistion d’armement, dont les coûts de R&D s’envolent, dont les clients réclament une baisse des prix unitaires a vocation à comprimer ses coûts, et à rationaliser ses structures. En même temps une industrie de souveraineté, fortement ancrée dans des territoires nationaux, et qui multiplie en son sein au niveau européen des alliances basées sur le principe du « juste retour » n’est pas a priori bien armée pour procéder aux restructurations nécessaires. Enfin l’hétérogénéité des structures actionnariales des entreprises à regrouper et la nécessité de constituer une grande société européenne intégrée conduisent necessairement à adopter le modèle de l’entreprise privée cotée.
Pour avoir méconnu ces logiques élémentaires et au lieu d’anticiper, nos gouvernants ont toujours pris à regret et quand il était déjà trop tard, les décisions qui s’imposaient, gaspillant au passage nos réels atouts. Les Français ont d’abord tardé à faire le deuil de la stratégie autarcique, ils ont ainsi exclu du jeu Dassault et permis à Bae de s’affirmer comme leader européen de l’aéronautique militaire. Ils ont ensuite affiché des visées hégémoniques dans l’électronique, faisant échouer de ce fait un partenariat équilibré Thomson-Gec. Ils ont méconnu leurs partenaires au moment du changement de cap de Julllet 1995. Ils se sont ridiculisés dans la privatisation de Thomson ce qui a conduit Dasa, partenaire historique d’Aérospatiale, à se rapprocher de Lagardere. Ils ont longtemps défendu l’idée que le contrôle public d’Aérospatiale ne jouait aucun rôle dans la difficulté de constituer une entreprise européenne d’aéronautique et de défense ce qui a rendu possible l’alliance de revers Bae et Dasa. Mis en face de leurs contradictions et pris de panique, nos gouvernants ont décidé alors de privatiser Aérospatiale en la confiant à Mr Lagardere ! A nouveau le recours au meccano industriel s’imposait dans les missiles et les satellites pour désintriquer Thomson et Aerospatiale qu’on venait de rapprocher. Pour finir, le cadeau d’Aerospatiale fait à Lagardere ne servant à rien et l’atout de la privatisation gaspillé, il ne restait au Gouvernement français qu’à manifester son dépit en prenant « acte » de la fusion annoncée Bae-Dasa.
Pouvait-on faire plus mal ? Difficile à imaginer. Tant de pusillanimité, d’inconsistance, de légèreté laissent pantois. Un espoir toutefois, l’Etat-actionnaire se retire, Aerospatiale devient une entreprise.
Voir en ligne : L’Expansion