« SGP » : Le triomphe de l’actionnaire
mars 1999
Dans l’affaire SGP, il y a une double énigme. Comment ce Gouvernement a t il pu ne pas comprendre qu’en jouant le jeu des Mutuelles, il affaiblissait des entreprises financières déjà faibles et ce faisant précipitait les évolutions qu’il entendait éviter ? Comment Michel Pébereau, incarnation de l’aristocratie d’Etat, prototype du fonctionnaire politique a t il pu faire des fonds de pension les arbitres des querelles des tribus gauloises ?
La réponse tient dans un triple constat de faillite et dans un pari radical.
Faillite d’abord de la sortie de l’économie de financements administrée. La BNP comme l’ensemble des entreprises financières françaises a souffert depuis le milieu des années 80 et jusqu’à ces derniers mois d’une déréglementation brutale, d’une concurrence inégale avec les établissements à statut spécial, d’une faiblesse dramatique de la rentabilité, d’un interdit social et d’une capitalisation boursière notoirement faible.
Faillite ensuite de la filière inversée du capitalisme français. Au terme de privatisations administrées, une poignée d’oligarques adoubés par l’Etat ont cru contrôler « leurs » entreprises en ignorant les actionnaires . Ils les ont découverts à l’occasion de l’arrivée des fonds de pension .
Faillite enfin du capitalisme de connivence qui aurait pu, sur le modèle allemand, protéger le capitalisme autochtone si nos banquiers et nos hauts fonctionnaires n’avaient l’espace d’une nuit troqué l’évangile de l’intérêt général contre celui du marché.
Les pouvoirs publics, auraient pu profiter des privatisations du CIC, ou du Crédit Lyonnais pour aider à la rationalisation du secteur, et à l’émergence d’acteurs nationaux puissants. Il fallait pour cela autre chose qu’une stratégie du moindre risque face aux syndicats, aux élus locaux ou aux dirigeants en place. Tel ne fut pas le cas et la BNP marginalisée, décida de jouer son va tout.
M.Pebereau a déclaré que le projet SGP était favorable aux actionnaires, aux salariés et aux clients et qu’il venait à son heure, celle de l’Euro et de l’industrialisation des processus financiers. L’hypothèse du succès de l’OPE actuelle est pourtant peu probable.
En termes de valorisation instantanée de SG et de Paribas, l’offre BNP a justement été saluée par le marché, mais la valorisation future est aléatoire. L’OPE a donc un seul effet incontestable : mettre aux enchères l’ensemble des banques privées françaises. Nul doute qu’à ce compte là des offres plus attrayantes ne manqueront pas d’émerger.
S’agissant des salariés s’il est raisonnable de penser qu’en termes stricts de réseaux M.Peberau peut faire le pari de l’attrition naturelle des effectifs, à l’inverse il ne peut améliorer instantanément la productivité. Par ailleurs sauf à verser dans l’absurde M.Pebereau devra élaguer les effectifs dans la banque de gros et les services communs.
S’agissant des clients, dont personne ne parle, si le modèle d’une industrie financière réalisant des économies d’échelle en concentrant la conception de services dans des usines amont, en diversifiant les réseaux de distribution pour élargir la surface de contact avec les clients et en bâtissant des systèmes d’information intégrant outils d’aide à la décision et d’administration des ventes est parfaitement recevable, qui peut croire que la fantastique désorganisation occasionnée par une OPA hostile peut améliorer le service rendu ?
Dès lors on comprend mieux la logique de l’OPE hostile. St elle réussit elle aura accouché « aux forceps » d’un paysage financier concentré et d’un capitalisme pur et dur d’actionnaires. Si elle échoue, ouvrant la voie à l’irruption de banques allemandes, espagnoles ou suisses, inattaquables chez elles, elle aura contribué à mettre un terme à une variété nationale de capitalisme qui voulait concilier des intérêts hétérogènes nationaux, professionnels et sociaux. Une chose est sure l’alliage d’impuissance publique et de quérulence des chefs gaulois a ouvert la voie à la thérapie de choc.
Voir en ligne : L’Expansion