SBP : Spectateur engagé et création de valeur

avril 1999

La banque française est pleine de bruits et de fureur. L’un sort son treillis et se dit alléché par l’odeur de la poudre, l’autre traite préventivement son adversaire de « Ganelon », le troisième ajoute finement 3 Pébereau bonjour les dégâts. On peut le comprendre tant la méthode de l’OPE hostile est inusitée, tant les ego froissés sont surdimensionnés et tant la consanguinité des protagonistes est avérée. Mais il est moins acceptable de soutenir avec assurance une chose et son contraire, d’établir des plans sans en tirer les conséquences, d’afficher des objectifs que l’on sait par avance intenables. On ne peut par exemple invoquer l’intérêt général et présenter son offre comme celle qui crée le plus de valeur pour l’actionnaire. On ne peut garantir l’emploi et afficher des objectifs ambitieux de gains de productivité sauf à évoquer une improbable croissance. On ne peut défendre le caractère national des banques françaises et laisser juges de leur avenir les fonds de pension anglo-américains. Pour la clarté du débat il convient donc de restituer à chacun des protagonistes son véritable discours.

Michel Pébereau a eu raison de lancer son OPE coincé qu’il était entre un secteur mutualiste hors d’atteinte et objet de l’intérêt exclusif du ministre et un secteur privé en voie de fermeture avec l’alliance SG-Paribas. Michel Pébereau qui préside a une banque plus mal valorisée en Bourse que ses grandes concurrentes étrangeres n’a pas eu les moyens d’en acquérir. Par ailleurs il ne pouvait faire autrement que proposer du papier en échange du capital de ses proies. Claude Bebear a eu raison de soutenir une OPE qui créait de la valeur immédiate pour l’actionnaire apres tant d’années de vaches maigres chez Paribas, éloignait la menace Allianz et lui assurait un rôle central dans l’actionnariat du nouveau groupe. Simplement une fois la décision prise et le critère de création de valeur pour l’actionnaire porté au pinacle, ni l’un ni l’autre le sont légitimes pour invoquer l’intérêt national. L’effet mécanique de l’OPE est de mettre à l’encan tout le secteur bancaire privé français. Si demain la Société Générale appelait ABN-Amro pour la secourir et si le pôle services financiers spécialisés de Paribas tombait sous la coupe de General Electric, Pébereau et Bébéar ne pourraient que s’incliner devant une décision qui créerait, par définition, plus de valeur instantanée pour l’actionnaire.
Daniel Bouton et André Lévy Lang ont eu raison de lier leur sort puis de refuser la très grande fusion. Le mariage de leurs activités banques d’affaires, la cession de participations dormantes, le développement des services financiers spécialisés font sens. Ils permettent de dégager instantanément un excès de capital qui sera rendu aux actionnaires, ils font par ailleurs l’économie de restructurations plus longues et plus coûteuses dans la banque de détail. Mais si le critère primordial de cette fusion est celui de la rationalité industrielle, l’OPE hostile BNP mérite aussi d’être étudiée sur cette base. Autant il est facile de démontrer que la très grande fusion est source d’instabilité, de perte potentielle d’activité et de difficultés de rationalisation, autant la fusion des banques de détail SG-BNP pose problème compte tenu de la pyramide des âges et des engagements sociaux pris, autant la fusion BNP-Paribas est moins critiquable. En effet il ressort des informations disponibles que la BNP est moins engagée que la Société Générale dans la banque d’affaires, qu’il y a donc moins de redondances et moins de conflits à gérer. Michel Pébereau doit donc choisir entre l’intégration complémentarité BNP-Paribas la restructuration de la banque de détail qui passe par le couple SG-BNP, et la grande rationalisation problématique au sein de SBP.

Enfin s’agissant de Bercy et de son occupant actuel, si la stratégie du « spectateur engagé » est conforme à la nouvelle doctrine d’intervention, au nom de quoi pourrait elle conduire à privilégier une OPE hostile, source de risques industriels et sociaux majeurs. Si l’on comprend bien, Bercy aurait abandonné la restructuration du secteur privé aux banquiers privés se resservant le traitement du secteur public au profit du pole mutualiste. Une telle stratégie s’explique politiquement : comment mieux réussir la privatisation qu’en adoptant une ligne consensuelle avec les syndicats de salariés et d’élus locaux ? Mais le prix d’une telle stratégie doit être assumé aussi. Le « spectateur engagé » peut témoigner, il ne peut infléchir le cours des événements. Il est donc illusoire de prétendre conserver le caractère français des banques françaises quand on a laissé faire.

Que conclure au terme d’un tel parcours ?

1- La logique industrielle conduit sans doute, à privilégier la solution SG-Paribas, ou BNP-Paribas. Les complémentarités apparaissent plus évidentes, les risques moindres et le bénéfice pour l’actionnaire immédiat. Deux obstacles majeurs, outre son caractère hostile, interdisent à court terme de croire à la viabilité de l’OPE de la BNP, c’est d’une part, l’impossibilité de réaliser rapidement les économies annoncées dans les réseaux tout en accroissant le produit net bancaire et c’est d’autre part l’impossibilité de rationaliser les outils informatiques, pour des raisons de pénurie physique d’équipes disponibles.

2- La logique patrimoniale a le vent en poupe, si l’on en croit le consensus de place favorable à la BNP. Le projet SBP serait plus créateur de valeur que le projet concurrent SG-Paribas. Mais ce consensus est trompeur car fondé sur un sentiment d’impuissance des proies et sur le silence des banques étrangères, plus le temps passera et plus la riposte s’organisera et moins la marche de la BNP sera triomphale. La mécanique enclenchée produira alors ces pleins effets et les marchés choisiront le projet le plus créateur de valeur.

3- Un résultat est d’ores et déjà acquis : Bercy est marginalisé, il s’est autolimité et s’est réservé un Ministère de la parole cogéré avec la Banque de France. Plus personne aujourd’hui ne peut tenir le discours de l’intérêt général et encore moins celui de l’intérêt national si tant est qu’il y a ait encore un sens à invoquer un intérêt national en matière de banque de détail alors que l’effet le plus immédiat de la bataille actuelle est de rendre aveuglante la disparition de la banque d’affaires française.


Voir en ligne : La Croix