Retraites, placements et capitalisme autochtone.
septembre 1999
La guerre des banques au delà de ses rebondissements et de ses effets directs est en passe de fournir une vivante leçon de choses économiques aux Français. Ceux-ci découvrent qu’ils ne sont plus maîtres chez eux, ils réalisent que les entreprises nationales sont de plus en plus largement contrôlées par les fonds de pension et les fonds mutuels anglo-américains. Et comme chaque fois que les Français peuvent apprendre de leur expérience collective, leurs dirigeants font tout pour que cette connaissance dérangeante rentre dans le lit des polémiques ordinaires.
D’un côté J.Chirac dénonce la légèreté des socialistes qui en refusant les fonds de pension ont livré le capital français à l’étranger. Il feint ainsi d’ignorer les responsabilités de son camp qui a consolidé un système de retraite tout répartition, même pour l’étage des retraites complémentaires et qui a privatisé sans penser à reconstituer les bases d’un capitalisme autochtone De l’autre des socialistes qui n’ont su ni provisionner les régimes de répartition, ni développer les fonds de pension salariaux, se livrent à un combat d’arrière garde contre .... les envahisseurs européens à l’ère de l’Euro et du marché unique !
Même mal posé le débat vient à son heure puisque le Gouvernement entend se saisir de la question des structures financières du capitalisme français et qu’on attend pour cet automne un projet de réforme du système de retraites.
Mais quel lien y a t il entre retraites et structure du capital des entreprises ?
L’économie des retraites est simple : elle est fonction de données démographiques, de données d’activité et de données migratoires puis d’hypothèses faites sur la croissance et le partage de ses fruits. Quel que soit le régime de gestion retenu, la retraite s’analyse toujours comme un transfert de richesses entre générations. Le choix de la capitalisation n’a donc rien à voir avec la résolution du problème du vieillissement de la population ou de l’amélioration de l’équilibre à long terme du financement des retraites, il a par contre à voire avec le financement des entreprises en capital patient, avec la diversification des logiques représentées au Conseil d’Administration des firmes et avec le pari fait sur le rendement des marchés par rapport à la croissance de l’économie nationale.
Le problème de la France est double. D’un côté le vieillissement de la population, dégrade le taux de dépendance (rapport 60 ans et +/20-59) : celui-ci passerait de 38,5 à 72,6% à l’horizon 2040. Il dégrade également le taux de remplacement (rapport entre le dernier salaire et la première pension) celui-ci perdrait 7 à 8 points pour la génération 1955 comparée à celle de 1934. La part des pensions dans le PIB toutes choses étant égales par ailleurs, passerait de 11,6 à 16,6%. Il faut donc inventer un nouveau compromis social pour des générations qui auront une durée de vie à la retraite deux fois supérieure à celle de leurs grands parents. Trois solutions sont formellement envisageables : 1/Augmenter les cotisations 2/Dégrader les pensions 3/Retarder l’âge du départ à la retraite. Le débat sur les fonds de pension émerge à partir du moment où l’on considère que la voie de l’alourdissement des prélèvements obligatoires est à bannir et que l’aversion fiscale grandissante peut être neutralisée en développant à côté d’une retraite socialisée un complément de retraite individualisé géré en capitalisation.
D’un autre côté la sortie de l’économie de financements administrés, la séquence nationalisations-privatisations, l’échec de la banque-industrie ont laissé la France démunie en actionnaires et en investisseurs de long terme d’autant que le régime de répartition rendait de tels investisseurs moins nécessaires. Par ailleurs la volonté de diversifier leurs actifs et mieux veiller à leurs intérêts ont poussé les fonds de pension américains à s’intéresser aux marchés européens et notamment français et à généraliser leurs règles de « corporate governance ». Le taux de détention moyen de la capitalisation boursière par les investisseurs étrangers en 1997 a été de 35% en France, contre 6% pour les Etats Unis, 9% pour le Royaume Uni et 11% pour le Japon.
Cette double exception française milite donc a priori pour une réforme des retraites qui en faisant place à la capitalisation pour un régime surcomplémentaire contribuerait aussi à résorber l’anomalie constatée dans la structure financière du capitalisme français.
La gauche est pourtant rétive à s’engager dans cette voie. Les fonds de pension ne risquent ils pas d’aggraver les inégalités de revenu ? Ne risque t on pas au milieu du siècle prochain de revoir des cohortes de pauvres vieux retraités ? Les retraites représentent aujourd’hui 47% des revenus avant impôts des ménages du dernier décile contre 85% des revenus avant impôts des ménages du premier décile (le plus bas). Ne risque-t-il pas aussi de renforcer les inégalités informationnelles. Comment choisir son fonds dans le maquis des offres financières ? Le système actuel n’a t il pas cette vertu sociale éminente d’être obligatoire, géré en répartition et d’être partiellement redistributif.
Mais à l’inverse la gauche ne peut qu’être sensible à une nouvelle thématique celle de la pluralité des logiques à introduire au sein du capital en retrouvant, avec les fonds de pension salariaux, l’inspiration social-démocrate. Par ailleurs l’actionnariat salarié pourrait introduire un peu de viscosité dans les rouages financiers et de territorialité dans les stratégies de globalisation.
Ainsi donc si de tels principes venaient à être adoptés un grand pas serait fait dans le sens de l’avènement d’un capitalisme pluraliste où la logique de création instantanée de valeur des fonds de pension anglo-américains serait contrariée par celle des actionnaires salariés, des fonds de pension salariaux et des fonds de pension nationaux.
Quant aux retraités ils continueraient à bénéficier pour l’essentiel de leurs régimes par répartition et accessoirement du fruit de leur épargne-retraite. L’Etat veillant à travers la politique du minimum vieillesse à corriger les effets des carrières atypiques.
Voir en ligne : La Croix