Refusons les recettes usées de la vieille gauche taxophile
mardi 24 juin 2014
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Il faut réduire l’inégalité à l’école, dépasser la dualité entre universités et grandes écoles, assurer une formation professionnelle de qualité.
L’Appel des 100 se veut porteur d’une triple novation : institutionnelle avec le rééquilibrage des pouvoirs entre président et Parlement ; politique avec une alternative à la stratégie de l’offre ; technique avec des propositions concrètes. Si les députés rebelles rejettent l’économie de l’offre qui inspirerait M. Hollande et veulent impulser un nouveau cours économique, c’est sur la base de théories et d’études partagées, à les en croire, par « la plupart des économistes ». Leurs thèses méritent donc d’être soumises à l’épreuve des réalités.
Hélas, ce texte ignore les théories récentes de la croissance économique, et en particulier le fait que la croissance dans les pays développés est de plus en plus tirée non pas directement par la demande intérieure mais avant tout par l’innovation qui permet de vendre mieux sur le marché national et international. Nous ne sommes plus à l’époque des « trente glorieuses » où la croissance était tirée par le rattrapage et où nous étions une économie relativement fermée : depuis les années 1980 il y a eu la mondialisation.
Or, selon l’Appel des 100, le déficit de croissance de la France s’expliquerait par une demande insuffisante et non par un problème d’offre ou de compétitivité. On reste interdits devant pareille affirmation quand on sait ce qu’ont été les politiques menées par tant de gouvernements successifs, qui n’ont cessé de soutenir l’activité par la relance de la demande, creusant pour cela les déficits budgétaires et de balance courante avant d’aggraver le problème en augmentant les charges et taxes pour réduire les déficits ainsi creusés.
L’analyse proposée par l’appel passe à côté d’une évidence : comment une stimulation de la demande peut-elle être la réponse pour la France, un pays dont la balance courante est en déficit depuis plus de dix ans ? Les produits français sont, en moyenne, ou bien trop coûteux pour leur qualité ou bien de qualité insuffisante pour leur prix. Dans une telle situation, le surcroît de demande intérieure préconisé par l’appel amplifierait les déséquilibres du commerce extérieur et des finances publiques. A long terme, seule la capacité à innover, à gagner en productivité, à investir, à mobiliser une main-d’œuvre qualifiée et à mettre sur le marché des produits qui rencontrent une demande est source de croissance.
LE PLAN HOLLANDE EST DONC INJUSTE
A en croire cet Appel des 100, pour financer le choc d’offre et la consolidation budgétaire, le gouvernement contribue à la contraction de l’économie puisqu’il réduit la demande en coupant dans la dépense publique et dans les prestations versées aux petits revenus. Le plan Hollande est donc injuste parce qu’il frappe les petites gens. Il est en outre inefficace puisqu’il réserve 90 % des mesures nouvelles aux entreprises, et encore ne s’agit-il pas de celles qui en auraient le plus besoin.
A cela, toutefois, plusieurs objections de bon sens. La France est entrée en crise avec des niveaux de déficit excessif malgré des engagements européens jamais tenus. Ces déficits n’ont pas servi à financer les réformes ou les investissements favorables à la croissance. La France a donc un problème de crédibilité qui risque de rendre difficiles et coûteux ses financements futurs. Annoncer qu’on ne respectera pas une fois de plus nos engagements, exiger l’obéissance du prochain président de la Commission européenne et réclamer la mutualisation des dettes relève d’une prétention de la grande France à imposer ses vues ou d’une volonté de provoquer une crise européenne majeure. La tenaille des marchés et de la Commission européenne, déjà à l’œuvre dans les crises précédentes, frapperait alors durement la France et, en particulier, le pouvoir d’achat des catégories les moins favorisées.
Le gouvernement veut restaurer la compétitivité, élever la profitabilité très dégradée des entreprises pour que redémarre l’investissement, et amorcer la décrue des dépenses publiques. A l’opposé, les 100 frondeurs renouent avec le programme de la vieille gauche taxophile en proposant plus de dépenses, plus de redistribution et moins de transferts aux entreprises. Ils ignorent ainsi délibérément que l’insuffisance de l’investissement et des dépenses d’innovation s’explique avant tout par une trop faible rentabilité des entreprises. L’exposé mêle ici le mensonge par omission, la démagogie et les propositions irréalisables dans le cadre européen.
Lorsque l’Appel évoque les cadeaux faits aux entreprises, il oublie de mentionner l’aggravation continue des prélèvements pesant sur les entreprises qui ont des effets calamiteux en termes d’activité et même de rendement de l’impôt. Depuis 2011, les impôts nouveaux pesant sur les entreprises ont été de 30 milliards d’euros. L’objectif du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du pacte de responsabilité est de les restituer entre 2014 et 2017. Lorsqu’il dénonce le caractère non ciblé du CICE sur les secteurs exportateurs, il feint d’ignorer que ce n’est juridiquement pas possible. Enfin, quand il propose de contourner l’obstacle par des accords de branche, il réintroduit de fait la conditionnalité que le gouvernement a d’emblée refusée pour des raisons d’efficacité économique et afin d’éviter des dérives bureaucratiques.
NOTRE ÉCOLE EST PARMI LES PLUS INÉGALITAIRES
Cet Appel des 100 préconise également une lutte contre les inégalités par la fiscalité et la redistribution. Cependant l’analyse des données à laquelle nous nous sommes livrés indique que l’absence de mobilité sociale entre générations successives est le principal facteur d’inégalité des revenus en France. Notre école est parmi les plus inégalitaires au sein des 34 pays de l’OCDE, et le manque d’accès à l’emploi contribue à la faible mobilité des revenus. Il faut s’attaquer aux inégalités à la racine. En amont de l’intervention fiscale, il faut réduire l’inégalité à l’école, dépasser la dualité entre universités et grandes écoles, assurer une formation professionnelle de qualité et dynamiser le marché du travail pour permettre aux individus de rebondir facilement d’un emploi à l’autre.
Au total, ce qu’on aurait aimé lire de la part d’élus socialistes qui se disent avertis des problèmes économiques, c’est une prise de conscience quant à la gravité de notre déclin économique et du délabrement de notre système productif. La priorité est aux réformes structurelles, ce que les sociaux-démocrates reconnaissent dans les pays voisins, et de nombreux exemples étrangers témoignent que telles réformes sont payantes économiquement et politiquement. Ensuite, on aurait espéré un meilleur diagnostic sur les causes de l’inégalité, avec une prise de conscience du problème de la mobilité sociale déclinante dans notre pays et des politiques adéquates pour y remédier : celles-ci vont au-delà de la redistribution par l’impôt. Enfin, comme le comprend le président du conseil italien Matteo Renzi, il est illusoire de demander à nos partenaires européens la mutualisation de la dette quand on donne la preuve de notre inaptitude à tenir nos engagements.
C’est en cessant de rejeter la responsabilité de nos problèmes sur les autres que nous parviendrons à recréer un climat de confiance propice à une relance en Europe. La gauche française doit comprendre que le monde a changé et qu’il faut de nouvelles politiques pour promouvoir les valeurs universelles d’égalité, de mobilité sociale et de protection des faibles, tout en assurant une prospérité durable.