Pourquoi il faut fusionner Gdf et Suez
mercredi 20 septembre 2006
130 000 amendements ! La fusion GDF / Suez s’annonce comme la « cause » parlementaire du siècle. Mais alors que ce pourrait être une occasion d’ouvrir sans démagogie un débat sur la sécurité d’approvisionnement, l’investissement dans les réseaux, l’évolution du bouquet énergétique, on ne peut qu’être abasourdi de la médiocrité des arguments présentés d’un coté comme de l’autre, de la vision réductive qui s’en dégage, du véritable monument d’anti-pédagogie économique qui se construit sous nos yeux.
Dans la droite ligne de la politique énergétique de la France qui a toujours consisté à ne compter que sur soi-même et non sur la bonne volonté des nations amies pour assurer la sécurité d’approvisionnement du pays, cette fusion permet de faire naître le leader mondial du gaz naturel liquéfié. Apres avoir bâti un champion pétrolier avec Total, un autre dans l’électricité nucléaire avec Edf, un troisième dans le combustible et l’équipement nucléaire avec Areva, l’ensemble Suez-GdF parachève la construction.
Gaz de France qui n’est qu’un acteur de poids moyen dans le gaz et Suez qui est un électricien moyen et un petit gazier n’ont pas la taille critique dans un monde de l’énergie en pleine recomposition où les producteurs nationaux comme Gazprom ou Sonatrach entendent peser chaque jour davantage. En les fusionnant, on crée un acteur multiénergeticien qui a les moyens de se développer. De plus, cette fusion se fait par échange de titres et non en cash ; elle dote donc d’une stratégie crédible ces deux compagnies sans qu’elles aient à utiliser leurs réserves financières.
En l’absence d’une fusion, l’un et l’autre groupe auraient du renforcer leur offre électrique pour l’un, gazière pour l’autre, en faisant des acquisitions ou en se faisant racheter pour jouer pleinement leur partition dans une Europe de l’énergie totalement libéralisée à compter de Juillet 2007. GdF aurait pu s’adosser à un fournisseur de gaz, il aurait pu développer ses activités de distribution en Europe en rachetant Centrica par exemple, mais dans tous les cas de figure GdF aurait été obligé d’ouvrir d’avantage son capital pour lever les capitaux nécessaires sur les marchés financiers. En clair des poids moyens sous-dimensionnés dans une Europe de l’énergie en pleine recomposition avec des acteurs qui ne cessent de se concentrer, les chances de survie comme acteurs indépendants de Suez et GDF étaient minces. A l’inverse un groupe énergetique puissant se situant d’emblée au premier rang européen et doté au nom de la « sécurité d’approvisionnement » d’une triple golden share et d’une minorité de blocage détenue par l’Etat serait un atout pour la France.
Des autres solutions avancées, celle de la nationalisation de Suez en endettant GdF, suggérée par le « fonds vautour » Knight Vinke, et celle de la fusion Edf-Gdf on ne sait laquelle est la plus détestable. La première présente l’énorme inconvénient de démanteler ce qui existe plutôt que de construire puisque près de 60% du potentiel du nouveau groupe serait cédé, de charger la barque du nouvel ensemble et de lui ôter toute marge de manœuvre financière. Quant au vieux serpent de mer de la fusion EDF/GDF, celle-ci ne serait envisageable qu’à un coût prohibitif : le double démantèlement de Edf et de Gdf, c’est à dire la cession d’une partie du parc de production nucléaire et la désintégration verticale des deux entreprises. Les ayatollahs de la concurrence de Bruxelles pourraient sabler le champagne.
Mais là n’est pas le vrai débat de cet automne. De quoi parle-t-on en effet ? De maintien du service public, de danger de la privatisation d’un fleuron du patrimoine national, de régulation des prix au consommateur. Or là les choses sont claires : GDF est un transporteur et un distributeur. Il peut en partie sécuriser l’accès grâce au GNL, mais il subit les prix internationaux du gaz et ne peut que les répercuter avec quelque lissage sur ses clients. Nous sommes là en économie de marché et les consommateurs - tout comme les politiques - doivent commencer à le comprendre. Il est vrai que l’on ne fait rien pour les y aider et l’introduction d’un amendement, accordant un « droit de retour » aux entreprises qui avaient volontairement abandonné le tarif régulé de l’électricité ceci au prix d’une taxe qui coûtera à EDF quelques centaines de millions d’euros, est un véritable déni de justice tant économique et moral qu’écologique.
Cette taxe en effet est assise sur le nucléaire et l’hydraulique c’est à dire sur des énergies non émettrices de gaz à effet de serre et elle va servir à financer les énergies plus polluantes des nouveaux entrants !
Il n’en fallait pas plus pour que les mouvements de consommateurs réclament la généralisation de la mesure à l’occasion de la dernière phase de l’ouverture des marchés de l’énergie : les consommateurs étant irresponsables, ils doivent revenir au tarif régulé dès que la hausse des prix rend le choix des prix libres sur un marché ouvert moins intéressant.
On ne parle donc plus de logique industrielle, de dynamique d’entreprise, de positionnement stratégique sur le marché européen, voir mondial. Dans ce débat franchouillard, le consommateur de Romorantin, la retraite du gazier, les ambitions de quelques politiques à l’horizon de 2007 permettent une fois de plus notre repli sur le petit village gaulois où l’on se bat à coup de poissons pourris et d’amendements.
Dommage car l’occasion est belle, l’enjeu est de taille, les difficultés managériales ne manqueront pas d’être énormes. Faut-il en plus que les politiques y rajoutent leur obscure clarté ?
Elie Cohen Philippe Chalmin
Voir en ligne : http://www.lesechos.fr/