Pour une autre Révolution fiscale
mercredi 6 avril 2011
Par Philippe Aghion et Elie Cohen
Pour une autre Révolution fiscale
Philippe Aghion et Elie Cohen
Thomas Piketty et co-auteurs viennent de publier un ouvrage décapant sur la fiscalité française qui mêle rigueur, sérieux et compétence académique dans l’analyse et audace révolutionnaire dans les propositions.
Sa thèse est que pour l’essentiel notre système fiscal est devenu régressif, surtout pour les très hauts revenus. La faible progressivité de l’impôt sur le revenu et son assiette étroite et mitée par les innombrables niches fiscales d’un côté, et le poids des impôts proportionnels de la TVA et de la CSG de l’autre, aboutissent à ce frappant resultat en termes d’inéquité fiscale. Le livre ne propose donc rien moins qu’une révolution fiscale qui aurait un triple mérite : celui de l’équité, de l’efficacité et de la simplicité.
Le nouvel impôt qu’il propose en lieu et place de l’IRPP et de la CSG actuels est un impôt qui combine la progressivité de l’impôt sur le revenu et l’assiette de la CSG. Cet impôt est de plus perçu à la source sur une base individuelle. Ainsi plus de quotient familial, plus de niches, plus de traitement différencié des revenus du capital et du travail. Avec un tel impôt, concluent les auteurs, seuls les très riches paieront plus qu’auparavant, ce qui n’est que justice. Le PS allèché par une telle promesse s’est rallié d’emblée au projet au point d’en revendiquer la paternité.
Puisque les données sont incontestables et que les mesures proposées ne frappent que les super-riches seuls les avocats des nantis pourraient trouver à redire à ce dispositif
Le problème est qu’à sauter trop vite de l’analyse aux propositions on peut finir par perdre en crédibilité et pour le démontrer il suffit de se livrer à un double exercice : comparer d’abord le régime actuel de taxation du pays le plus avancé socialement de la planète, à savoir la Suède, à la réforme proposée dans ce livre, puis comparer cette réforme à la situation de la Belgique, notre plus proche voisin. En Suède, la fiscalité sur le revenu est notoirement transparente et simple (avec seulement trois tranches d’imposition sur le revenu du travail plus un impôt sur le capital à 30%, sans niche fiscale) et juste (l’impot sur le revenu du travail est fortement progressif avec une tranche superieure a 55%). Que constatons nous ?
Prenons une personne qui gagne au moins 100000 euro par an en revenus du travail et qui dispose d’un logement d’une valeur de 500000 euro ou plus : certes il ne s’agit pas du tout-venant, mais cela concerne un nombre appréciable d entrepreneurs, de professionnels et de nombreux professeurs d’universités aux Etats-Unis et dans la plupart des pays développés. Comme le montre la figure ci-dessous, à partir d’un niveau de revenu du capital de 70000 euro ou plus, un tel individu va etre soumis à une taxation globale supérieure en régime Piketty que dans la très vertueuse Suède. Et au dela de ce seuil de 70000 euro, les prélèvements proposés par PIketty & al. deviennent très rapidement confiscatoires. La comparaison avec la Belgique, pays voisin donne des résultats encore plus nets.
Pourquoi le pays le plus avancé de la planète a-t-il décidé de taxer les revenus du capital moins que les revenus du travail et pourquoi veille-t-il à éviter une taxation abusive des revenus ? Pour une raison très simple : les Suédois savent ce qu’est une économie ouverte et veulent encourager l’entrée sur le sol suédois d’entrepreneurs innovants. L’argument mis en avant par le livre, à savoir que seule une petite minorité serait davantage taxée au terme de la réforme qu’ils proposent, et que par consequent cette réforme ne pose pas de problème, n’est guère convaincant : un tel système peut en effet décourager l’innovation et la croissance s’il s’attaque aux plus entreprenants et aux plus mobiles et encourage la fuite des cerveaux.
Pour une révolution fiscale ? Sans hésitation ! Nous partageons pleinement l’idée que le système fiscal francais est vétuste, opaque et injuste et qu’il n’a fait qu’empirer depuis le debut de ce quinquennat. Cependant, la necessaire suppression des niches, la remise en cause du quotient familial, et de la déclaration par ménage, la plus grande progressivite de l’impot sur le revenu pour nous mettre au diapason des économies d’Europe les plus socialement avancées, sont des objectifs qui peuvent etre atteints par d’autres systemes fiscaux que celui proposé dans ce livre. Nous avons donné l’exemple de la Suède, mais d’autre pays d’Europe ont mis en oeuvre des fiscalités également simples, transparentes et justes. Ces fiscalités ont l’avantage supplémentaire de ne pas décourager l’entreprise et l’innovation. Ils sont caractéristiques de pays qui ont evolué au fil des années vers une social-democratie de la croissance dans une economie mondialisée, et cela sans nullement renoncer aux ideaux de justice et de solidarité : en cela, ils montrent la voie à suivre pour une gauche qui chercherait vraiment à se moderniser.