Poste : la réforme à reculons

février 1999

On savait que le Parlement était parfois complice de son abaissement. Il vient d’en administrer la preuve en décidant nuitamment, par un amendement à un texte sur l’aménagement du territoire , de mettre fin à un monopole multiséculaire, celui du service public postal. La démarche ne mériterait guère qu’on s’y arrête si elle ne témoignait de notre incapacité à débattre sereinement, à assumer l’intégration européenne et à réformer dans la clarté nos fameux services publics.

La Poste est une entreprise en concurrence, ses activités sont au coeur de la nouvelle économie, ses concurrents sont pris d’une frénésie d’acquisitions et on continue en France de ne traiter de la Poste que sous l’angle des communes rurales, des privilèges du Trésor ou de la pérennisation des statuts.

La Poste a trois activités essentielles : le courrier, les colis, et les services financiers. En matière de courrier, elle assiste apparemment impuissante à la dégradation continue de la part de marché du courrier dans les communications de point à point, prés de 20% aujourd’hui contre 60% il y a trente ans. Le téléphone puis le Minitel, l’échange électronique de données, le fax et maintenant l’internet ont érodé la position du courrier.

En matière de colis la Poste est restée forte dans les segments qui se développent peu (rapide/eco), moins forte dans ceux qui se développent rapidement (express) et faible dans ceux qui croissent très rapidement (express international). Dans ce secteur qui est au coeur de la révolution des technologies de l’information et de la logistique et qui constitue un maillon crucial pour la Vente par Correspondance et le commerce électronique d’un côté, les flux tendus et le « just in time »dans l’industrie de l’autre, la Poste, dont l’offre, était incomplète commence seulement à réagir.

Enfin en matière de services financiers, la Poste dont le développement a été entravé par l’AFB et la FFSA relayés par le Ministère des Finances, et dont la rentabilité a toujours été médiocre du fait de la rémunération qui lui était versée par le Trésor a régulièrement perdu des parts de marché.

Pourtant le déclin des activités traditionnelles n’est pas une fatalité. La Poste suédoise qui a investi deux fois plus au cours des dernières années s’est métamorphosée en « net company », elle a créé un front nordique dans le colis, elle a différencié son réseau et amélioré d’un tiers sa productivité. La Poste hollandaise qui a investi près de trois fois plus que la Poste française a entrepris de se transformer en gestionnaire de courrier pour les multinationales, en intégrateur de la chaîne publicitaire et en logisticien (rachat de TNT), Deutsche Post AG, en cours de privatisation a développé un réseau en Europe de l’Est en en Russie après avoir acquis 22,5% de DHL, et Jal Cargo.
Pourquoi donc La Poste entre-t-elle à reculons dans un marché mondial ouvert où les opportunités sont légion ?

L’explication tient pour partie à la géographie, la France n’est pas la Hollande : moindre densité, moindre extraversion, moindre ouverture. Mais la Poste française souffre de trois maux spécifiques. Entreprise de service public, elle est sommée d’assurer des missions que les élus et l’Etat ne veulent ni correctement évaluer ni justement indemniser. Entreprise de main d’oeuvre régie par un statut rigide, et devant assurer la continuité du service à ses clients notamment de la VPC, la Poste a trouvé des marges de flexibilité en multipliant les emplois précaires ce qui a conduit à une radicalisation de ses personnels, à des grèves et donc à la dégradation du service offert. Entreprise publique, donc en permanence suspectée de mauvaise gestion par sa tutelle, la Poste n’a jamais eu les moyens de son développement, elle ploie aujourd’hui sous le poids d’obligations indues notamment en matière de presse, de gestion des CCP et de retraites. La Poste est le miroir des contradictions de l’Etat mais 300 000 emplois sont en jeu !


Voir en ligne : L’Expansion