Où va la croissance américaine ?
septembre 2001
Les meilleurs experts y perdent leur latin, reprise en V ou en W, net ralentissement en U ou récession en L : les paris sont ouverts et le jury suspend son jugement. Mais l’incertitude va au-delà : et si la politique monétaire avait perdu de son efficacité et si Alan Greenspan avait perdu la main ? Pour ajouter à la complexité les données paraissent soudain moins fiables, les révisions périodiques ajoutent à la confusion. Or dans un monde globalisé la perception par le grand public du niveau de l’activité aux USA a un impact direct sur les comportements et donc sur l’activité en Europe.
Pour bien comprendre ce qui se passe aux Etats-Unis, il faut rappeler quelques éléments. Depuis cinq ans, le consensus des économistes s’est régulièrement trompé sur les perspectives de croissance, l’écart par rapport au réalisé a été en moyenne de 50%. Depuis 10 ans, un débat intense partage les économistes sur l’explication des ressorts de la croissance américaine. D’un côté, les macro économistes qui voient dans le cycle de croissance US les effets combinés de la désinflation importée, de l’effort d’investissement et d’une politique monétaire permissive. De l’autre les tenants du « new age » qui sur la base d’indices ténus ont bâti la fable de la croissance continue sans récession, ni chômage, ni inflation tirée par les NTIC. Depuis un demi-siècle enfin, dans le sillage de la théorie keynésienne les experts s’interrogent sur les vertus du « fine tuning » et notamment sur le bon dosage dans l’usage des politiques monétaires et budgétaires.
La crise actuelle, en invalidant certaines analyses - par trop hâtives - permet de mieux comprendre ce qui est à l’œuvre actuellement.
La forte croissance des années 90 a d’abord été le résultat de l’effort majeur de restructuration du système productif américain durant les années 80. Elle a ensuite été entretenue par les efforts de modération fiscale du Gouvernement américain et par les réformes réussies en matière de système de santé. Elle a enfin profité du fantastique effort de rattrapage de l’investissement dans les années 90. A ces facteurs structurels de stimulation de l’activité sont venus s’ajouter des facteurs qui tiennent à la qualité de la gestion macro-économique : l’appréciation continue du dollar a été un facteur de désinflation importée, la politique monétaire permissive a contribué à effacer rapidement les effets des crises asiatiques, la maîtrise de l’inflation a dès lors facilité la modération salariale.
L’emballement de la croissance à partir de 1998 est à l’origine des troubles d’aujourd’hui. On s’en souvient, à la suite des différentes crises financières, la Fed, baissait les taux pour éviter les défaillances et soutenir l’activité. Mais à compter de 1999 la Fed tarde à relever les taux alors que l’activité s’emballe. Alan Greenspan s’est en fait converti à la religion de la « Nouvelle Economie » il pense que le potentiel de croissance s’est accru et dès lors il ne traite pas les signes évidents de surchauffe. Les années 99 et 2000 voient l’investissement dans les NTIC littéralement s’envoler. D’immenses surcapacités de production et d’équipements vont alors apparaître dans la foulée du développement de la bulle financière. La crise actuelle est donc à la fois une crise de l’offre dans la mesure où elle s’alimente des surinvestissements et des surstocks réalisés et une crise de la politique monétaire car cette dernière a été à la fois incapable d’enrayer le ralentissement économique tout en laissant une inflation immobilière se développer.
Que peut-on espérer dans un tel contexte ? D’ores et déjà les tenants de la courbe en V doivent reconnaître que leurs espoirs ne se sont pas concrétisés. La question est alors de savoir si nous sommes sur le point de remonter la courbe en U après 4 à 6 trimestres de ralentissement ou si le scénario japonais de la courbe en L pointe. Tant que les excès de la nouvelle économie n’auront pas été résorbés, il est illusoire de penser que la croissance repartira, de ce point de vue, la politique monétaire est impuissante. Faut-il pour autant craindre un scenario noir à la japonaise où le dégonflement de la bulle spéculative, allume la crise bancaire du fait de la montée des mauvais risques, ce qui conduit la Banque Centrale à mener une politique du taux 0 et le Gouvernement à essayer en vain d’alimenter l’investissement et la consommation par le déficit public ? Ce scénario me paraît improbable car les Etats-Unis et l’Europe ont su par le passé mieux gérer leurs crises bancaires et que leurs systèmes institutionnels sont plus flexibles.
Mon scénario est donc celui de la courbe U et le signal de la reprise sera donné par la fin de la purge dans le secteur des NTIC.