Les trois erreurs de Sarkozy
vendredi 9 mai 2008
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Brillante à bien des égards, la stratégie réformatrice de Nicolas Sarkozy est pourtant en passe d’échouer. Il a en effet commis trois erreurs dont les effets cumulés le privent progressivement de toute marge de manœuvre.
Il y a plusieurs manières d’apprécier l’action réformatrice de Nicolas Sarkozy. Le président aurait plus réformé qu’on ne veut bien le reconnaître, mais moins qu’annoncé et promis lors de la campagne. C’est la thèse de nombre d’observateurs étrangers qui citent à charge les promesses non tenues sur la baisse des prélèvements obligatoires ou l’instauration du contrat unique, et à décharge la réforme des universités, l’abolition des régimes spéciaux ou l’invention d’un nouveau contrat de travail. En somme Sarkozy serait moins victime de son action que du maximalisme de son discours de campagne.
La seconde approche, plus favorable au président, le dépeint en stratège inspiré avançant ou reculant sans jamais perdre de vue l’objectif, épousant les accidents du terrain politique et social pour avancer tel un crabe. Sa stratégie n’est certes pas lisible car de multiples chantiers sont ouverts et qu’il y règne une certaine confusion, mais lorsque la poussière retombera on pourra contempler l’œuvre. La RGPP, l’accord sur la représentativité syndicale ou la réforme de la distribution représenteraient d’authentiques réformes au long cours à mettre à son crédit.
La troisième lecture proposée par l’opposition dépeint un Sarkozy faux réformateur, mais vrai disciple de Chirac, qui compromet l’idée de réforme par son approche brouillonne, partisane, et inéquitable socialement. La loi TEPA fournit l’illustration d’une réforme financée à crédit et destinée à satisfaire des clientèles plus qu’à préparer l’avenir.
Il est impossible à ce stade de se prononcer sur les résultats : comment juger au bout d’un an quand les réformes sont si récentes, quand les données manquent ? Par exemple, quel est le coût réel de la réforme des régimes spéciaux et que peut-on en attendre en termes d’économies ? On peut en revanche juger une stratégie, une méthode, un discours.
Nicolas Sarkozy se veut réformateur. Sa quête d’un mandat politique pour la réforme, sa volonté de tirer le meilleur parti des expériences étrangères, le soin mis à la préparation du programme, sa volonté de rupture avec l’immobilisme incarné par Chirac ; tout témoigne d’une volonté de réforme solidement ancrée. Nicolas Sarkozy a de plus réfléchi à la méthode. Il a écarté la thérapie de choc à l’anglaise, guère praticable chez un peuple volontiers rebelle. Il s’est interdit de rêver : la France n’est pas une social-démocratie nordique pacifiée pratiquant le compromis. Il savait enfin qu’après Mitterrand, on ne pouvait plus promettre des lendemains européens qui chantent pour justifier des choix impopulaires. Il a donc conçu un dispositif qu’on peut résumer ainsi.
1. Pratiquer en matière de réformes et en période d’état de grâce la stratégie du tapis de bombes chère à Colin Powell. Le " carpet bombing " de réformes provoque un état de désorientation voire de sidération de l’adversaire. En bousculant les syndicats, les parlementaires, en saturant leurs capacités d’expertise, le président fort d’un mandat politique incontesté espère engranger un maximum de réformes en peu de temps. L’inconvénient de cette politique du nombre est de passer sous silence la substance même de la réforme. C’est ainsi qu’on peut allègrement compter le service minimum dans les transports publics comme réforme alors même que l’engagement présidentiel n’est pas respecté (" le service minimum c’est le service maximum aux heures de pointe ").
2. Faire preuve en même temps d’ouverture et d’habileté en valorisant les partenaires syndicaux et en leur témoignant d’égards exceptionnels. La politique des rendez-vous à la Lanterne, des invitations au restaurant, des compromis négociés d’homme à homme participe de cet esprit. Le prix de cette démarche est connu, c’est la quête du point moyen entre groupes d’intérêt. C’est ainsi que la réforme des universités concilie le refus de la sélection de l’UNEF et le présidentialisme universitaire prôné par la Conférence des présidents d’université.
3. Revenir à l’assaut une fois, deux fois, trois fois quand une réforme s’enlise ou que des compromis vident de tout sens le projet initial. C’est le cas notamment de la réforme de la distribution sans cesse remise sur le tapis. La Loi Chatel était en discussion au Parlement au moment où la mission Attali proposait de revenir sur les lois Raffarin-Galland-Royer. La Loi de modernisation économique revient à nouveau sur ce sujet alors que l’encre de la loi Chatel n’a pas encore séché.
4. Délégitimer l’adversaire politique en chassant sur ces terres, en lui empruntant ses thèmes, ses idées et en passant pour le meilleur avocat de ses électeurs. Se faire le chantre de la " flexisécurité ", marauder sur le terres de l’exception culturelle en proposant d’abolir la publicité sur les chaînes publiques de TV relève du grand art.
5. Démoraliser la gauche politique en la privant de ses figures les plus marquantes soit grâce à l’ouverture réalisée, soit grâce à la promesse d’ouverture. Il y a en effet pire que la débauche individuelle de quelques responsables en vue de l’opposition, c’est de faire croire que d’anciens ministres ou conseillers en quête de postes ou d’honneurs comme les jeunes espoirs du PS peuvent être également tentés par une union nationale des talents.
Cette méthode brillante est pourtant en passe d’échouer, non parce que la France est irréformable ou parce que la crise des " subprime " viendrait interrompre un processus vertueux de réforme mais parce que dans la réalisation de son dessein, Nicolas Sarkozy aura été son meilleur ennemi. Le président a en effet commis trois erreurs dont les effets cumulés le privent progressivement de toute marge de manœuvre.
D’une part, il a soigneusement évité de s’attaquer aux problèmes lancinants de la protection sociale et de la gouvernance territoriale, sources de déficits permanents et d’inflation de la dépense publique. Il s’est condamné dès lors à ne jamais atteindre les objectifs d’équilibre des finances publiques à l’horizon 2012 et de baisse de 4 points des prélèvements obligatoires au terme de son second mandat.
D’autre part, en se présentant comme le président du pouvoir d’achat, du volontarisme politique, en développant des thématiques populistes contre la vie chère, les gnomes de Francfort ou les bureaucrates bruxellois, il s’est condamné à décevoir ses électeurs et à miner sa crédibilité européenne.
Enfin en paraissant satisfaire son électorat avec la loi Tepa, il a miné sa crédibilité de réformateur " juste ". Si l’on ajoute les interférences parasites sur son action politique de son mode de vie personnel, on comprend que son crédit se soit rapidement évaporé. Quand le discours jure avec l’action, quand le comportement personnel contredit les discours, quand les réalisations sont de pâles succédanés des actions promises, quand les expériences personnelles des citoyens sont à mille lieux des discours rebattus alors c’est la consistance des discours qui part en quenouille et la cohérence du projet qui sombre.
Nicolas Sarkozy a jusqu’ici survendu son programme, il est condamné aujourd’hui à survendre son autocritique. Faire amende honorable est un exercice qu’on ne peut reproduire à l’infini. L’exercice délégitime le Président et il le décrédibilise. Peut-il rebondir ? On aimerait le croire, mais sa pratique quand les vents lui étaient favorables laisse sceptique. Avec le recul, espérons qu’on ne dira pas demain une fois de plus que la France a raté une occasion.
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