Les privatisations DSK
juin 1999
Depuis deux ans les restructurations industrielles et financières impliquant l’Etat sont rondement menées. Là où le Gouvernement Juppé tergiversait, reculait et parfois même prêtait à la critique pour sa faiblesse coupable à l’égard de certains intérêts, DSK agit avec calme, professionnalisme et dénoue affaire après affaire tous les dossiers impossibles de l’ère précédente : CIC, Thomson, Aérospatiale, Crédit Lyonnais, GAN etc... On pourrait s’arrêter là et selon ses opinions vanter ou railler les talents de privatiseurs des socialistes. Pourtant lorsqu’on étudie les choix faits on réprime difficilement le sentiment que l’excellence technique de DSK et du Trésor masquent l’absence de stratégie et l’obsession du déminage.
Quels sont donc les ressorts de cette réussite paradoxale ? Au début des années 90 le PS se convertit au principe de la privatisation des entreprises du secteur concurrentiel. Mais écartés du pouvoir et soumis aux pressions des salariés du secteur public qui craignent une évolution semblable pour les entreprises de service public, les socialistes abordent les législatives de 1997 avec une reformulation du « ni....ni.... » La privatisation est déclarée de droite, le projet des socialistes est dès lors d’accompagner, par des ouvertures de capital, les alliances industrielles et les coopérations européennes. Ayant donc renoncé à défendre les privatisations pour ce qu’elles sont : la marque d’un retrait de l’Etat de la sphère productive marchande et la reconnaissance de la supériorité des régulations de marché dans ce domaine, les socialistes vont accepter que toute privatisation devienne enjeu de négociation politique avec la gauche plurielle et syndicale.
C’est ainsi que l’ouverture de capital de France Telecom nécessaire du fait de la libéralisation et de la déréglementation, va être justifiée par les nécessités de l’alliance avec Deutsche Telekom alors que chacun savait que cette alliance était moribonde, que de surcroît un échange de participations de 2% n’était pas engageant et qu’il était absurde de demander à l’entreprise FT de justifier après coup par des partenariats réels une construction politique. Il en sera de même avec Thomson. Comme le gouvernement socialiste avait besoin de temps pour convaincre ses alliés de la nécessite de la privatisation, il laissera passer une opportunité stratégique majeure d’alliance paritaire sous management français de l’ensemble GEC-Thomson et finira par gaspiller tous nos atouts dans l’industrie de défense puisque Thomson est orphelin et qu’Aérospatiale a été offert en catastrophe à Matra. On pourrait multiplier les exemples dans la banque, le transport aérien chaque fois le même mécanisme est à l’oeuvre : la question n’est jamais posée en termes stratégiques et industriels, la question est plutôt : comment concilier résidus d’idéologie et nécessités de l’évolution et une fois le compromis sémantique trouvé, comment forger un compromis politique au sein de la gauche plurielle. Enfin, une fois le chemin balisé et les contraintes de paix sociale fixées, le Trésor agit avec son habileté coutumière et habille sans états d’âme n’importe quel montage.
Le mécanisme démonté, on peut se demander si l’important n’est pas qu’au bout du compte DSK privatise plus et mieux que ses prédécesseurs et de surcroît avec le consentement des syndicats et du Parti Communiste. Avec à son actif d’ici fin Juillet des opérations qui auront rapporté au Trésor public 200 Milliards de Francs et avec un transfert effectif du management à des intérêts privés, DSK n’aurait il pas réalisé l’essentiel. Un tel point de vue est soutenable du point de vue de Sirius, il a simplement trois inconvénients : il méconnaît les résistances idéologiques qui nourrissent l’exception française, il fait bon marché des atouts stratégiques gâchés et il témoigne d’une perte de confiance radicale dans la capacité du pouvoir politique à peser si peu que ce soit sur l’économie réelle.
Voir en ligne : L’Expansion