Le programme commun de la France : Avant propos par Élie Cohen

vendredi 22 décembre 2006

Etablir des diagnostics, présenter des solutions alternatives, évaluer l’impact de tel ou tel programme, faire la différence entre ce qui relève du pouvoir immédiat des autorités nationales et ce qui n’en relève pas (règles OMC, euro, UE) : telles sont les limites fixées à cet exercice collectif.

La campagne électorale qui démarre emprunte aux classiques de la vie politique : conquête du pouvoir et exercice du pouvoir obéissent à des logiques différentes. Dès lors, les propos de campagne engagent peu et n’éclairent que faiblement sur les politiques de gestion ou de réforme réellement menées une fois le pouvoir conquis. De même la ruse, la dissimulation, l’adaptation des discours aux publics font partie des règles de l’art.

La somme des discours catégoriels ne fait pas un programme même si elle fédère un électorat. Enfin depuis les succès de Clinton et Blair, on sait que la qualité première des « nouveaux » politiques réside dans leur aptitude à user de l’art de la triangulation ou, si l’on préfère, de l’art de capter le discours de l’adversaire et de le fondre dans son propre discours pour élargir son électorat. La rhétorique de l’ordre chez l’une et des droits opposables chez l’autre en fournit une parfaite illustration.

Mais cette campagne innove aussi : elle aura marqué le triomphe de l’interactivité en politique. La campagne 2007 est à la politique ce que la Star Ac est à la TV, et le format « talk & news » à la radio, l’expression de l’irrépressible envie de tout un chacun d’être vedette une minute, de donner son point de vue sur les sujets les plus graves comme sur les plus communs. Cette campagne aura vu enfin l’irruption du Net et des vidéo-blogs en politique.

Si les propos de campagne ne sont pas des programmes politiques et encore moins des engagements de gouvernement, pourquoi l’économiste se risquerait-il à évaluer, mettre en perspective voire mettre en cause les « propos » économiques des candidats. Au moment où une démocratie participative se cherche, où le peuple-expert s’exprime en lieux et places d’experts démonétisés, que viennent faire les représentants de la « science sinistre » ?

Qu’on se rassure, il n’est nulle question ici de proposer des catalogues de mesures au nom de « TINA ». On se souvient en effet qu’il y a peu les experts avançaient souvent leurs politiques en invoquant « l’absence d’alternative » (« There is no alternative »). On s’attachera au contraire à montrer que dans tous les domaines il y a toujours une large place pour l’initiative politique.

Il n’est pas plus question de réinventer un nouveau « cercle de la raison ». Comme on le verra dans les différentes contributions notre hypothèse est que si les convergences entre les deux blocs sont très réelles, elles ne sont pas dues pour autant à un diagnostic partagé ni à un consensus sur ce qu’il convient de faire en raison, elles sont plutôt le résultat d’une forme de tétanisation face à la difficulté.

Notre propos n’est pas non plus de dire ce que serait une politique « normative » de gauche ou de droite, car l’exercice à nos yeux a le double inconvénient de condamner à l’immodestie - une politique est le fruit de compromis multiples dont on ne peut préjuger - et au simplisme - la gauche et la droite sont diverses.

Enfin comme les institutions de la ve République interdisent la formation d’une grande coalition transpartisane, à l’allemande, et que la tentation des extrêmes est chez nous très forte, nous intégrons la nécessité pour les partis d’inventer des choix idéologiques clivants pour développer des mentalités de camp. Plus les propositions concrètes sont proches et plus il faut créer de la distance idéologique.

Pour autant et au vu des arguments échangés pendant cette première phase de campagne deux constats peuvent être dressés : 1. la rivalité mimétique conduit les deux candidats les plus en vue à avancer des thèses proches sur l’économie, la sécurité, l’école, l’immigration. 2. Les thèses économiques de ces deux candidats notamment sur l’euro, la mondialisation, l’harmonisation fiscale et sociale sont en porte à faux avec le consensus européen.

Si la distance entre les programmes et les politiques à mener une fois parvenu au pouvoir est maximale alors il y a fort à parier que l’alternative comme après 1981, 1986, 1995 soit entre la trahison des engagements pris et l’immobilisme.

Alors comment éclairer le débat ? La responsabilité des économistes n’est pas celle des hommes politiques, leur rôle est de nourrir le débat d’analyses, d’évaluations, d’expertises. Etablir des diagnostics, présenter des solutions alternatives, évaluer l’impact de tel ou tel programme, faire la différence entre ce qui relève du pouvoir immédiat des autorités nationales et ce qui n’en relève pas (règles OMC, euro, UE) : telles sont les limites fixées à cet exercice collectif.

En même temps nos responsabilités dans la prévision économique nous obligent à anticiper les développements de politique économique à partir de notre connaissance de la situation économique de la France et de ses partenaires d’une part et de l’évolution la plus probable des politiques menées.

Or d’une manière singulière, on constate d’étonnantes convergences.
Sur l’impératif de la croissance, condition sine qua non de toute politique hardie de pouvoir d’achat et de redistribution, l’accord est parfait, un objectif supérieur au potentiel de croissance est même fixé par Ségolène Royal.

Sur les déficits et la dette publique, les analyses de la Commission Pébereau sont aujourd’hui largement partagées à gauche et à droite. DSK par exemple a pu déclarer « la gauche doit être l’ennemie de la dette : plus il y en a moins l’Etat peut intervenir ».
Sur l’exigence d’une action décisive pour entrer dans l’économie de la connaissance l’accord est parfait notamment sur la réforme des universités. DSK propose de « dynamiter les universités par la concurrence ».

Sur l’école, l’immigration, l’autorité, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont sur des lignes voisines. La liste pourrait être plus longue encore.

Les contributions qui suivent explorent les programmes, les déclarations, les engagements, ils tracent les contenus probables des politiques qui seront mises en œuvre en 2007, ils établissent enfin ce qui est commun aux deux blocs et ce qui est irréductiblement spécifique.

Les contributions sont organisées en cinq chapitres.

 1. Une stratégie de croissance pour une économie mondialisée. Il s’agit de répondre à une double question comment sortir de la croissance molle, comment adapter l’offre à la demande interne et externe.

 2. Un financement crédible et responsable.

 3. Un contrat social refondé : si l’accord est large pour évoquer la question du pouvoir d’achat, des inégalités, il l’est apparemment moins pour réformer le code du travail même si la « flexisécurité » fait des émules à droite et à gauche. Et puis une protection sociale réformée : les régimes sociaux paraissent à bout de souffle, la réforme Douste-Blazy ne parvient même pas à sauver les apparences. Les réponses à attendre des politiques ne seront guère originales, autant les anticiper.

 4. Les nouvelles solidarités seront au cœur du débat électoral. L’emploi, l’école, le logement, la ville sont les enjeux de l’intégration, c’est sur ces terrains que la grande fracture entre « insiders » et « outsiders » commencera d’être comblée ou non.

 5. Réponses françaises aux grands défis : l’Europe, le climat, l’énergie sont des questions de longue portée et qui requièrent d’autres volontés que nationales, raison de plus pour tracer les contours des positions françaises en gestation.

Un fil rouge parcourt pourtant ces cinq thèmes. Sans la capacité à stimuler la croissance en France, l’Etat social aujourd’hui financé à crédit va au-devant d’une crise majeure et dès lors l’exigence civique et économique d’une intégration réussie des Français issus de l’immigration est en péril.


Voir en ligne : Le Nouvel Economiste