La tentation hexagonale : délocalisations et nouvelle politique industrielle

lundi 21 mai 2007

Introduction

Les élites politiques françaises n’ont guère la religion du marché, du libre-échange, la dénonciation du libéralisme, est une pratique courante. L’actuel Président de la République, J.Chirac, se plait même à faire un parallèle entre les ravages du communisme et du capitalisme. Par ailleurs sondage après sondage l’image d’une France eurosceptique, altermondialiste, anti-capitaliste se dégage. De plus l’idéologie libre-échangiste a perdu de sa force intimidatrice depuis que la théorie des avantages comparatifs est publiquement débattue . Certes les Français ne sont pas lecteurs de Paul Samuelson et ne soupçonnent guère que Jagdish Bhagwati continue à défendre des thèses strictement libre-échangistes, mais leurs hommes politiques se parent d’arguments d’experts pour asséner comme une évidence l’obsolescence de la théorie des « avantages comparatifs ». Enfin les Français ont peur de la réforme. Les tentatives récentes de réforme du contrat de travail, de l’assurance maladie ou des retraites, le chômage persistant et la crise sans fin du système de formation les ont ancré dans une vision pessimiste de l’avenir et les ont convaincus que toute réforme était porteuse de régression sociale.
Des hommes politiques de tous bords dénoncent pèle mêle les ravages d’une ouverture économique non contrôlée, l’échange inéquitable, l’angélisme des Français et réclament une intervention vigoureuse de l’Etat . Gauche et droite proposent de sanctionner les patrons auteurs de licenciements boursiers.
Avec la question des « délocalisations », on assiste au dernier avatar de l’éternelle question de l’insertion de la France dans la division internationale du travail. La France a connu par le passé de telles périodes d’interrogation grave sur sa compétitivité, les bénéfices de son insertion dans une économie internationale ouverte, la préservation de son modèle national de développement. Ses hommes politiques de gauche ou de droite ont exprimé leur malaise face à l’intégration européenne et à la mondialisation.

Ce fut le cas en 1992-93 quand la perspective du marché unique faisait craindre une invasion automobile japonaise et déjà les ravages industriels d’un Mark fort. Ce fut le cas aussi en 1982 quand le modèle politique français paraissait buter sur la contrainte extérieure et quand les politiques furent tentés par la solution du repli national et l’éxpérience d’une politique industrielle volontariste. Ce fut le cas en 1969 quand la dernière étape de la constitution du marché commun paraissait peu compatible avec l’état de la France après les évènements de Mai 1968 qui s’étaient soldé en France par une très forte revalorisation des salaires ouvriers. Ce fut le cas enfin en 1959 quand le Géneral de Gaulle hésite un moment à différer les premières mesures d’intégration prévues par le Traité de Rome
A chaque fois du constat d’une faiblesse transitoire naît un débat sur la difficulté de la France à jouer pleinement le jeu de l’économie ouverte.

La tentation du repli est fréquente et des mesures sont esquissées dans le sens de la protection : faut-il rappeler ici les magnétoscopes japonais dédouanés à Poitiers en 1982, ou la lutte contre les transplants automobiles japonais en 1992. Ces tentations, ces mesures ont un caractère bipartisan. La Droite s’est illustrée en particulier avec le Rapport Arthuis en 1993 en traçant un tableau noir des effets de la libéralisation commerciale. Le même sénateur Arthuis se fait aujourd’hui le héraut de la TVA sociale comme arme de taxation des importations.
Pourtant les élites politiques françaises ont chaque fois résisté à la tentation protectionniste. Grâce à l’Europe, le choix fait fut celui de la sortie par le haut. Après 1993 il y aura l’Euro, la forte croissance de 1997-2000. Après 1982 il y aura la relance européenne la désinflation compétitive et la libéralisation -privatisation. Après 69 il y aura l’ère Pompidou, l’impératif de la compétitivité et l’émergence des champions nationaux. Après 1959 il y aura l’impératif industriel et les grands programmes.

Dès lors si l’on souhaite apprécier les risques d’une dérive protectionniste et en évaluer les alternatives trois questions doivent être considérées. Avec les délocalisations franchit-on un seuil d’irréversibilité dans le déclin industriel du pays justifiant un nouveau cours politique. ? Les discours de la gauche et de la droite s’inscrivent-ils dans des idéologies polarisées ou illustrent-ils une forme d’idéologie nationale. ? Enfin les solutions pratiques concrètement envisagées par les deux camps illustrent-elles une offre politique contrastée ?