La question nucléaire

mars 1999

La question nucléaire vient de connaître en quelques mois une évolution décisive. Il aura suffi qu’un Gouvernement allemand inexpérimenté ait osé annoncer l’arrêt à terme de toutes les centrales nucléaires et immédiat du retraitement du combustible irradié pour que des débats longtemps tus en France fassent surface et pour que des positions qui jusque là étaient le fait des seuls écologistes soient considérés avec le plus grand sérieux au coeur même d’EdF.

Certes les maladresses allemandes n’expliquent pas tout, la compétitivité nouvelle du gaz, les leçons tirés par EdF de la surproduction nucléaire et la libéralisation du secteur de l’électricité en Europe ont largement contribué à préparer les esprits.

Que l’on songe à la rapidité avec laquelle les britanniques sont passés au gaz ou au rôle acquis par Enron dans la fourniture d’électricité grâce à sa maîtrise des nouvelles technologies gazières ou encore aux promesses des piles à combustible. Toutes ces avancées mettent en cause le nucléaire non d’un point de vue écologique mais d’un point de vue économique. La solution nucléaire a vu son avantage comparatif s’éroder puis disparaître cependant que la perspective des coûts du démantèlement a commencé à inquiéter même les plus zélés défenseurs de l’énergie tricolore. Si l’on ajoute enfin que le secteur énergétique entre dans un monde de concurrence avec la récente transposition de la directive électricité alors force est de reconnaître que la question nucléaire est posée pour la première fois depuis le lancement du plan Messmer en 1974 en des termes nouveaux.

C’est donc toute le chaîne nucléaire qu’il faut reconsidérer en répondant à trois questions. Quelle place faire au nucléaire en Europe à l’horizon 2020 et compte tenu des engagements pris en matière d’émission de gaz à effet de serre ?. Quelle doit être la stratégie d’EdF, exploitant mis en concurrence depuis Février 1999 ? Comment organiser l’industrie nucléaire pour qu’elle réponde au mieux aux perspectives du secteur, à la nouvelle politique énergétique européenne et à la stratégie d’EdF ?

La position allemande venant après celle de la Suède d’arrêt à terme du nucléaire a au moins ce mérite de mettre fin à l’illusion française : le nucléaire disparaîtra à terme y compris en France si nos partenaires européens venaient à le décider. Si au moment du renouvellement des centrales actuellement en fonctionnement, à l’horizon 2010-2020 la France est seule à vouloir poursuivre l’aventure elle ne le pourra pas car la pression intérieure et extérieure seront trop fortes, parce que la rentabilisation de l’outil industriel sera hors de portée et parce que EdF s’y refusera. Dans la meilleure hypothèse, celle où les Européens estimeront que la sécurité énergétique les oblige à ne pas trop dépendre des sources d’énergie fossiles et à limiter l’effet de serre par le recours au nucléaire, la France ne renouvellera pas terme à terme son parc nucléaire au delà de 2020 car il est absurde de servir « la pointe » avec le nucléaire. Il est donc raisonnable de penser qu’au mieux la part du nucléaire dans la fourniture d’électricité tombera de 85 à 60% laissant une place significative au cycle combiné au gaz. Enfin le parc nucléaire français étant jeune et les progrès dans l’entretien ayant permis d’allonger la durée de vie des centrales actuelles de près de 10 ans, le renouvellement massif du parc français interviendra après que la question se soit posée dans des pays dont le parc est plus ancien.

Pour EdF la question nucléaire cesse donc d’être centrale à court terme. Certes l’entreprise aura à coeur de maintenir ouverte l’option nucléaire, elle pourra même sous l’incitation des pouvoirs publics commander un réacteur nucléaire de nouvelle génération (EPR) mais fondamentalement les tâches qui sont devant elle sont d’un autre ordre. EdF va devoir tout à la fois apprendre la concurrence dans un univers où elle reste trop protégée en gérant la tension entre clients éligibles et gros clients non éligibles, apprendre à répondre techniquement et commercialement à la demande des clients industriels dans la cogénération, apprendre enfin la fourniture de service en aval du compteur. Ceci la conduira a être plus sensible à ses coûts. Tous ces mouvements stratégiques ont un sens et un seul : le modèle de l’intégration verticale nucléaire de l’ingénierie de centrale à la fourniture surabondante de courant d’origine nucléaire n’a plus d’avenir.

La question nucléaire est donc aujourd’hui essentiellement une question industrielle. Que faire de l’industrie nucléaire française dans la décennie qui vient d’autant que Cogema voit les perspectives du retraitement s’assombrir, que Framatome a besoin de visibilité pour renforcer son partenariat avec Siemens-KWU et qu’Alcatel, actionnaire par accident de Framatome veut céder sa très profitable participation.
Si l’analyse qui précède a quelque validité on peut tracer une perspective. Toute solution franco-française devrait être écartée, une intégration Cogema-Framatome n’apporterait rien à Framatome puisque les 2 entreprises gèrent déjà en commun le cycle du combustible, et conduirait Cogema à engager les réserves prévues pour le financement du démantèlement de la Hague dans une opération risquée. Une intégration EdF-Framatome ressusciterait un modèle condamné d’intégration verticale et handicaperait EdF dans sa réorientation commerciale. Quant au maintien dans le secteur public il est aussi anachronique qu’inutile : Framatome faut il le rappeler était une entreprise privée (groupe Schneider) devenue publique par hasard. Toute solution passe donc à la fois par une alliance industrielle réelle avec Siemens tournée vers le marché mondial et par le retrait progressif de l’Etat actionnaire. Ainsi confortée l’alliance Framatome-Siemens écarterait la perspective d’une consolidation de l’anglais BNFL sur le continent, dégagerait des synergies industrielles dans la mise au point de l’EPR et rendrait aux autorités politiques européennes leur pouvoir quant à l’avenir du nucléaire.


Voir en ligne : La Croix