L’Alliance : une innovation financière
juillet 2001
La constitution du troisième groupe financier français, par rapprochement de CdC Ixis et des Caisses d’Epargne, n’a guère soulevé d’intérêt.
Pour apprécier la portée de cette « Alliance », il faut en fait répondre à trois questions 1/En quoi la course à la taille, la fusion d’entités hétérogènes et la constitution d’organigrammes -rébus constituent-ils des réponses appropriées aux défis qu’affronte l’industrie financière
2/Peut on concilier dans un même groupe logique concurrentielle, logique de service public, et logique d’intérêt général,
3/ Faut-il considérer la configuration actuelle comme évolutive ou faut-il déjà figer les équilibres déjà atteints. ?
Apres la grande vague de fusions-acquisitions des années 98-2000 et le reflux actuellement constaté on peut en effet se demander s’il y a grand sens à étendre le périmètre des groupes financiers : les conflits de culture, l’énergie dépensée en gestion des querelles internes, les spécialisations hasardeuses et moutonnières par exemple dans la gestion de fortune ou le e-banking, ont abouti à des destructions de valeur dans les groupes les plus en vue en Suisse comme aux Etats Unis. Et pourtant le mouvement de consolidation en Europe ne s’est pas arrêté pour autant : dans chaque pays, les concentrations se sont poursuivies, une réaffectation des capitaux entre activités est partout à l’œuvre, un modèle d’intégration-diversification est en passe de s’imposer. Ce modèle qui articule usines de production et de traitement centralisées avec une pluralité de canaux de distribution a plusieurs mérites : il permet de bénéficier de considérables économies d’échelle et d’envergure, il répond au nouveau modèle d’intermédiation qui s’impose progressivement, il intègre les nouvelles demandes des consommateurs. Face aux nouveaux ensembles financiers intégrés que sont BNP_Paribas, ou Dresdner-Allianz, la galaxie CdC-Poste-CNCE souffrait incontestablement d’un déficit d’intégration, d’optimisation et de stratégie. Demain, si l’opération est menée à son terme, le nouvel ensemble pourra offrir aux particuliers la panoplie complète de services financiers : du crédit à la consommation, aux prêts immobiliers en passant par les prêts personnels, l’assurance vie, des Sicav et des produits classiques d’assurance aux personnes. Ces services emprunteront des canaux diversifiés physiques et electroniques à travers les réseaux de l’Ecureuil et peut être de la Poste. Ces produits auront été conçus dans des ateliers centraux et seront gérés par des usines de traitement spécialisées. L’ensemble banque d’investissement- banque de détail étant coiffé par une holding éventuellement ouverte aux investisseurs.
Cette ouverture esquissée ici nourrit de grandes inquiétudes chez ceux qui y voient la fin du service public financier. La thèse que nous voudrions défendre ici est que l’Alliance fournit en fait une occasion exceptionnelle de sortir de la logique nationalisation-privatisation d’activités concurrentielles au profit d’un nouveau modèle articulant diversité des logiques de gestion et pluralité des actionnariats.
En effet , dès lors que CdC-Ixis a été créée par apport des activités concurrentielles de la Caisse, l’expérience passée, les engagements du PS depuis le Congrès de l’Arche comme la simple logique conduisent mécaniquement à envisager sa mise sur le marché. Paradoxalement l’Alliance permet de tester une autre solution et de contribuer à la clarification des missions du pôle public et mutualiste français. Nombre de problèmes naissent de la confusion entre missions de services public, missions d’intérêt général et missions concurrentielles d’entreprises du secteur public. Dans l’industrie financière, on voit bien ce que peuvent être les missions de service public : pour l’essentiel la couverture territoriale et le traitement de l’exclusion. Ces missions doivent être organisées dans le cadre de l’accès à un service bancaire de base et assurées par toutes les banques, mais de fait c’est la Poste qui porte aujourd’hui l’essentiel de l’effort. Longtemps les défaillances du système bancaire en matière de financement de l’investissement, de l’innovation, de l’exportation, de la création d’entreprise ont conduit l’Etat à prendre en charge ces missions d’intérêt général et à les confier à des institutions financières spécialisées ou à la Caisse des Dépôts. Aujourd’hui il est difficile de prétendre, hormis le financement du logement social, la réhabilitation urbaine ou l’économie solidaire, que le système financier soit massivement défaillant. C’est la raison pour laquelle la Caisse régalienne a été confortée dans ses missions traditionnelles de gestion de l’épargne réglementée et de transformation en crédits très longs, ce qui signifie a contrario que CdC Ixis comme les caisses d’épargne doivent poursuivre des objectifs commerciaux dans leur exploitation et donc créer de la valeur pour leurs actionnaires.
A quoi sert alors l’actionnariat public et mutualiste ? Le législateur a en fait répondu à la question en conférant aux Caisses d’Epargne un statut hybride. Le nouvel ensemble par la diversité de son actionnariat public et mutualiste pourra gérer comercialement tout en menant des actions de solidarité avec une fraction de ses résultats. Mais là n’est pas le seul effet d’un actionnariat diversifié ; le nouvel ensemble contribuera à fixer en France un centre de décision majeur en matière financière. Enfin le nouvel ensemble pourra expérimenter une ouverture partielle du capital en impliquant fortement ses salariés. L’enjeu, on le voit, est de tenter de sortir de la logique unique de maximisation du résultat au profit exclusif d’actionnaires privés.
Pour autant l’objectif ne sera atteint que si trois conditions sont réunies 1-Partager cette analyse du service public et mettre un terme aux confusions trop commodes qui ont régné jusqu’ici. Le mérite de la clarification que nous évoquons est de rendre plus lisibles les responsabilités des uns et des autres 2-Réaliser pleinement le programme industriel et organisationnel mentionné ici, ce qui passe par une intégration véritable des activités des 2 groupes et demain de la CNP et de la Poste, 3-Maintenir l’équilibre trouvé entre actionnariat public et mutualiste dans la holding de tête de l’Alliance. Le potentiel de l’Alliance est immense, c’est dans l’éxécution que tout se jouera.
Voir en ligne : Les Echos