France Telecom-Deutsche Telecom, Un échec bienvenu

avril 1999

pour L’Expansion, avril 1999.

Que la fusion Deutsche Telecom / Telecom Italia se fasse ou pas, elle aura bouleversé le paysage européen des telecom. Elle a déjà produit une perte collatérale : l’alliance France Telecom-Deutsche-Telecom. Elle rouvre la question de la validité stratégique des alliances entre opérateurs historiques. Elle manifeste le caractère irrésistible de la pression de l’actionnaire. Elle accélère enfin la libéralisation du secteur en réintroduisant la Commission européenne dans l’organisation du marché.

Que n’avait-on dit sur l’alliance FT-DT, un mariage entre égaux, un prolongement industriel de l’axe franco-allemand, une vitrine de la privatisation selon Jospin motivée non par l’idéologie mais par un dessein industriel européen. Et pourtant une attention même distraite portée aux réalités aurait pu facilement convaincre de l’inanité d’une alliance conçue dans l’effusion et les grands sentiments, développée dans la méfiance et la rétention, retardée par les calendriers politiques, paralysée par les arrières pensées et justement sanctionnée par l’échec économique. Le premier enseignement est là : à vouloir sans cesse donner le temps au temps, à croire aux vertus économiques de l’incantation politique, la France a laissé passer le moment de faiblesse et d’impréparation du monolithe allemand qui seul justifiait l’alliance entre égaux aux yeux des Allemands.

Pour autant faut-il regretter cette alliance ? Dix ans de tentatives infructueuses de collaboration dans les terminaux, les réseaux et les services à valeur ajoutée, l’ATM, les réseaux de données, le contrôle d’accès avant de déboucher sur Global One devraient suffire à condamner sans appel cette alliance. Mais il y a une autre raison pour célébrer cet échec. Il libère enfin les initiatives. Cette impossible quête d’une alliance jamais vraiment consommée avait fini par masquer les évolutions du paysage des telecom. En un an de libéralisation, les nouveaux opérateurs ont non seulement fait preuve d’audace en s’attaquant à des niches de marché comme les cartes prépayées, la clientèle des PME, les boucles optiques locales, les solutions sur mesure pour entreprises multiétablissements mais ils ont rendu palpable le nouveau paysage des telecom fondé sur les mobiles, l’internet, les réseaux de données, les liaisons à haut débit entre quartiers d’affaires. Dans ce nouveau monde ce ne sont ni FT, ni DT, ni TI, ni même BT qui mènent la danse. Ce ne sont même pas davantage les opérateurs alternatifs comme Cegetel, Otelo ou Arcor. Dès lors les stratégies d’alliances gagnantes ne passeront pas par le rapprochement de deux des quatre vieilles et ce d’autant qu’il ne s’agirait que d’additionner des marchés domestiques et non de s’internationaliser. FT doit donc inventer une nouvelle stratégie et trouver les partenaires pour la mettre en oeuvre.

Pourquoi alors le fringant Ron Sommer de DT a t-il dans un même mouvement trahi FT et convolé avec TI. Ignorait-il les tendances déjà à l’oeuvre et celles qu’on voit se dessiner avec l’apparition d’opérateurs d’un nouveau type comme Qwest ou Level3 ? La réponse est simple : il s’agit pour les deux partenaires non de développer un projet industriel mais de consolider leur pouvoir défaillant l’un sur un marché en déréglementation rapide l’autre face à un raider agressif. Dans les deux cas l’impasse stratégique et la nécessité de raconter « une nouvelle histoire aux marchés » l’ont emporté sur toute autre considération.

L’alliance DT-TI va être à présent soumise aux actionnaires des deux groupes, aux autorités de la concurrence et même d’une certaine façon aux concurrents. Pour aboutir TI doit défaire Olivetti, DT doit obtenir du Gouvernement allemand une promesse de privatisation et les deux vont devoir convaincre la Commission Européenne que leur union est favorable au consommateur et ne constitue pas une entrave à la concurrence. Gageons que la Commission saura se saisir de cette opportunité pour accélérer la libéralisation notamment sur la boucle locale pour la clientèle résidentielle.

Si demain naissait un géant de l’accouplement de deux bureaucraties nul doute que sa capacité prédatrice serait élevée, nul doute aussi que le marché s’ouvrirait davantage.


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