Faut-il brûler les stock options ?

vendredi 19 octobre 2007

Le scénario est immuable en France : un patron avide commet un excès financier, les médias le dénoncent vigoureusement, des parlementaires proposent de faire un exemple, un rapport de la Cour des Comptes publié au même moment justifie une nouvelle taxation, le gouvernement en catastrophe décide de légiférer.

Au même moment, l’Allemagne fournit les conditions d’une expérience naturelle : le même soupçon de délit d’initié portant sur des cessions d’actions EADS ne provoque ni fuite de la Bafin (l’équivalent de l’AMF), ni campagne médiatique, ni déclarations politiques outragées, ni projet de réforme fiscale, tout au plus des groupes d’actionnaires promettent de congédier le président de Daimler... si le délit d’initié est constitué !

Tous les traits de la mal-réforme à la française sont ici réunis : montée rapide à la généralité puisqu’un cas individuel sert à faire le procès du capitalisme ; appel immédiat à l’Etat central pour taxer et légiférer ; et enfin contradiction politique entre taxation/répression et volonté simultanée d’améliorer l’attractivité de Paris, place financière.

A l’arrivée, une taxe minime à faible rendement sera créée (dix fois moins qu’annoncé par la Cour des Comptes), un instrument de motivation des cadres et dirigeants sera démonétisé et des patrons passeront pour vertueux parce qu’ils auront renoncé aux stocks options au profit d’actions gratuites !

Parce que le problème se reproduira immanquablement à l’occasion du prochain scandale, il n’est pas inutile de répondre à quelques questions simples : à quoi servent les stocks options ; faut-il les taxer davantage ; faut-il leur substituer les attributions d’actions gratuites ?

Les stocks options ou si l’on préfère les options d’achat d’actions ont été créées aux Etats-Unis pour permettre aux jeunes entreprises qui n’avaient pas les moyens de recruter les talents dont elles avaient besoin de le faire en les intéressant à l’enrichissement futur de l’entreprise. L’opération s’analyse comme un appauvrissement des actionnaires investisseurs au profit de cadres et dirigeants censés par leur action créer de la valeur future pour tous les actionnaires. Cette technique de paiement différé en capital va connaître un très grand succès dans les années 1980 et 1990 avec l’essor des start up puis elle se généralisera à l’ensemble des grandes entreprises comme technique d’intéressement des cadres dirigeants. Entre temps, en effet, sous l’influence d’économistes comme Michael Jensen, d’échecs du modèle congloméral et de l’apparition de « raiders » boursiers, un nouveau principe de gestion s’impose, celui de la création de valeur pour l’actionnaire. La nouvelle doctrine se décline ainsi : l’entreprise appartient aux actionnaires, les managers doivent maximiser la valeur créée pour l’actionnaire, leurs intérêts doivent donc être alignés sur ceux des actionnaires, les stocks options sont l’outil de cet alignement.

La gauche au pouvoir en France va favoriser l’adoption de cette technique d’intéressement des créateurs et dirigeants d’entreprises innovantes en créant à l’automne 1997 les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprises (BSPCE). La fiscalité initiale imaginée pour ce produit va être étendue à un nombre de plus en plus grand d’entreprises en 1998/99 puis 2001.

L’éclatement de la bulle de l’Internet et les scandales d’Enron, Worldcom... conduisent à une remise en cause théorique et pratique des stocks options. D’une part, l’alignement des intérêts entre actionnaires et dirigeants est remis en cause. Les dirigeants, initiés permanents, peuvent avoir la tentation de manipuler le cours de l’action à la veille de l’exercice de leurs options. D’autre part, la distribution généreuse d’options non comptabilisées en charges de l’entreprise conduit à la publication de données comptables insincères. Un double mouvement de réforme s’amorce alors, légal avec la définition de conditions et de périodes d’exercice des options ; comptable avec l’adoption de normes IFRS qui contraignent à la comptabilisation comme charges des options accordées. En France, la réforme des stocks options passera par le renforcement des prélèvements fiscaux et par la création d’un nouvel outil d’intéressement : les attributions d’actions gratuites.

S’agissant de la fiscalité appliquée aux stocks options, un auditeur inattentif des débats français actuels pourrait penser que la France est un paradis fiscal. Or, les stocks options sont taxées lors de l’attribution (si le rabais consenti par rapport au cours de l’action est de plus de 5% ), au moment de la levée et de la cession des titres (selon des taux variables). Ainsi un détenteur de stocks options dont la plus-value réalisée est supérieure à 152 000 € est taxé au bout de 4 ans à 51% et à 41% si la plus-value est inférieure à ce seuil. Si la conversion et la cession se font avant 4 ans, le bénéfice est assimilé à un salaire sur lequel des charges sociales et fiscales à taux plein sont prélevées. Si les titres levés ne sont cédés qu’au bout de 6 ans, la taxation tombe à 27% et 41% selon l’ampleur de la plus-value réalisée (seuil de 152000 euros). Ainsi, les gros détenteurs de stocks options (ceux qui défraient la chronique) sont taxés à 51% au bout de 4 ans. S’agit-il là d’un privilège fiscal exorbitant qu’il faut d’urgence éliminer ? La réponse est simple : hors charges sociales patronales, le niveau de prélèvement actuel est déjà assimilable au prélèvement opéré sur les revenus salariaux les plus élevés. Une éventuelle charge sociale patronale réduirait encore davantage l’attrait de la formule. En termes d’équité sociale, cette charge nouvelle peut se justifier. En termes de concurrence fiscale, une telle mesure aggraverait les handicaps de la France (ISF, charges sociales déplafonnées etc.).

Faut-il alors accepter la disparition progressive des stocks options et leur remplacement par l’attribution d’actions gratuites ?

Qu’une telle mesure, proposée par le président d’EADS M. Gallois, passe pour progressiste alors qu’elle revient à récompenser un cadre ou un dirigeant quelle que soit sa performance, laisse sans voix ! L’attribution d’actions gratuites (AGG), en effet, revient à distribuer du capital, l’acquisition gratuite se faisant à horizon déterminé et la plus-value est garantie puisque même si le titre perd 50% le bénéficiaire fait une plus-value de 50%. Cet outil n’a donc pas pour vocation d’inciter à la performance, c’est une forme de distribution du capital à des fins de fidélisation et de constitution d’un actionnariat salarié.

Alors que faire ?

La distribution de stocks options ou d’actions gratuites est d’abord une affaire d’actionnaires puisqu’elle revient à amputer le capital détenu par les actionnaires non gestionnaires au profit des managers. C’est aux actionnaires de décider des bonnes incitations, c’est à eux de prévenir les excès à l’occasion du vote des plans d’attribution. Que des excès aient été commis jusqu’ici est probable, mais ils manifestent davantage les faiblesses de la corporate governance à la française que les limites des stocks options.

Le choix de l’outil d’intéressement, primes, bonus, retraites complémentaires, stocks, actions gratuites relève des organes dirigeants de l’entreprise et doit être fonction des objectifs poursuivis : rétention de talents, salaire complémentaire, actionnariat salarié.
Le rôle de l’Etat est de balancer équité fiscale et stratégie d’attractivité. La pire des solutions étant l’actuelle puisqu’on veut aggraver la taxation et promouvoir l’attractivité.
Enfin il n’est pas inutile de faire preuve de tact et mesure. Le spectacle de dirigeants s’empressant d’exercer leurs options au moment où l’entreprise connaît des difficultés et où elle s’apprête à annoncer des restructurations produit des effets ravageurs dans l’entreprise comme sur l’opinion publique.


Voir en ligne : Telos