Entretien avec Michel Deprost

mars 2004

Quelle est la position de la France dans la compétition scientifique et technologique ?

Aujourd’hui, ce sont les Etats Unis qui définissent ce qu’on appelle la frontière technologique, ils sont le pays dont la productivité est la plus grande, dans presque tous les domaines. Jusque dans les années quatre vingt dix, les pays européens s’étaient rapprochés de cette frontière, mais depuis, le fossé s’est à nouveau creusé. Les nouvelles technologies de l’information, qui irriguent tous les domaines de la recherche et du développement et la mondialisation, ont replacé les Etats-Unis dans cette position avancée, même si la France reste bien placée dans quelques secteurs comme l’aéronautique ou le nucléaire.

Pourquoi les positions françaises se sont-elles érodées ?

D’abord et avant tout parce que la recherche n’est pas considérée comme un investissement, comme le levier de la spécialisation économique du pays. Ensuite la France qui avait bati apres guerre des institutions de recherche qui ont fait merveille dans une logique de rattrapage et d’imitation peine aujourd’hui à les réformer. En effet la création de grands établissements, comme le CNET, le CEA CNRS, l’INSERM, l’INRA, avait permis à la fois de combler les insuffisances de l’université, d’intégrer les connaissances et les technologies mises au point ailleurs et d’amorcer des recherches originales. Au total le niveau de compétences acquis ont favorié la croissance française et la réussite de quelques grands projets dans le spatial, le nucléaire, les telecom et l’aéronautique. Aujourd’hui l’enjeu s’est déplacé et la faiblesse de la France dans les sciences du vivant, les technologies de l’information et les nouveaux dramatiques est grave.

Quelles sont les faiblesses du système français de formation et de recherche ?

Pendant longtemps les économistes se sont intéressés de manière étroite au rôle de l’éducation dans la croissance. Ils ont d’un côté privilégié des analyses globales comme la contribution de l’enseignement à la formation du capital humain ou du progres technique ou de manière tres micro, mesuré le rendement économique d’une année supplémentaire d’étude. L’un des résultats majeurs de notre étude a été d’établir qu’un investissement massif dans le primaire econdaire contribue foertement à la croissance n phase de ratrappage. Mais par contre plus une économie se rapproche de la frontière technologique plus l’investissement dans le supérieur devient décisif pour la croissance.
Dans l’éducation, le système primaire et secondaire permet d’imiter, d’acquérir des connaissances déjà disponibles. L’enseignement supérieur, et même le supérieur du supérieur, permettent de s’approcher de la frontière technologique. La France a un système adapté pour une croissance de rattrapage avec un enseignement secondaire pour lequel elle dépense plus par tête que pour le supérieur, mais elle n’a mis les moyens nécessaires pour se rapprocher de la frontière technologique. L’Université française n’a pas démérité, surtout lorsqu’on voit les conditions d’admission, ses budgets. Elle est parvenue a professionnaliser partielelment ses formations. Elle ne réalise pas assez de recherche. Elle ne parvient surtout pas à la différence des grandes universités américaines à organiser en un même lieu production de connaissances (recherche) diffusion de connaissances (enseignement) et transfert de connaissances (innovation industrielle). Nos grandes écoles ont été créées pour une économie de commandement, pas pour une économie ouverte, et elles se contentent de la distillation fractionnée d’une élite alors que le MIT accueille dix mille étudiants de haut niveau contre 100 par promotion pour l’école des mines de Paris

Les solutions que vous préconisez ?

Il ne faut pas proposer de révolution, car c’est le meilleur moyen de renforcer les conservatismes. Il faut procéder comme l’ont fait les Chinois pour réformer leur politique de prix : ils ont mis en place un nouveau système périphérique, marginal qui parcequ’il s’est révélé plus efficace a fini par supplanter l’ancien...
Nous proposons la création d’une agence de moyens qui lancerait des appels à projets auxquels toutes les structures pourraient répondre. Le système sélectionnerait sur la base d’évaluations internationales, accorderait des moyens supplémentaires pour parvenir à constituer petit à petit à des pôles d’excellence. Le CNRS, qui dispose essentiellement de moyens humains, participerait à ces programmes, comme d’autres, en se rapprochant des universités. Il faudrait revoir les carrières, envisager des rapprochements entre établissements.

Ces propositions seront-elles écoutées ?

Je me réjouis de voir surgir cette idée d’agence de moyens, de voir des engagements financiers de moyens terme pris pour la recherche par le Gouvernement. J’espere que la Commission Baulieu accouchera de propositions novatrices et qu’on fera reculer les risques de radicalisation du mouvement des chercheurs.


Voir en ligne : Le Progrès