Elie Cohen : « Aux Etats-Unis, l’idéal d’un Internet ouvert est abandonné »
mercredi 13 décembre 2017
Article paru sur lemonde.fr
Dans une tribune au « Monde », l’économiste Elie Cohen rappelle les combats des opérateurs télécom américains pour réguler eux-mêmes les débits et l’accès à Internet, et estime que la différenciation des flux de données est inévitable.
Tribune. Aux Etats-Unis, l’agence fédérale des communications, la Federal Communications Commission (FCC), rompant avec son combat permanent, devrait renoncer le 14 décembre à la neutralité du Net. Ajit Pai, récemment nommé par Donald Trump à la tête de cette agence, vient de décider d’abandonner les pouvoirs conquis par ses prédécesseurs pour faire respecter cette neutralité. La transmission de données sans restriction ni altération, sans prise en compte de la nature du service, de son origine ou de sa destination, n’est donc plus l’objectif que s’assigne la FCC. L’idéal d’un Internet ouvert, sans différenciation de la tarification d’accès, sans privilège accordé aux détenteurs des tuyaux, est abandonné.
Donald Trump détruit l’œuvre législative de son prédécesseur en plaçant à la tête du régulateur un de ses ennemis les plus motivés
Alors qu’elle pouvait jusqu’ici sanctionner les propriétaires des réseaux – les opérateurs télécom et les câblo-opérateurs – en cas de violation de ces principes, la FCC substitue une pâle obligation de transparence. Comme il l’a fait pour les questions environnementales, Donald Trump détruit l’œuvre législative de son prédécesseur en plaçant à la tête du régulateur un de ses ennemis les plus motivés (Ajit Pai a été au service de l’opérateur Verizon). Une fois dans la place, celui-ci met en cause la doctrine de l’institution et, face au chaos créé, évoque la possibilité de modifier la législation.
Pour bien comprendre la portée de cette décision, rappelons qu’en juin 2016 la cour d’appel de Washington confirmait la légitimité des règles de neutralité du Net, établies par la FCC en 2015 et contestées devant les tribunaux pendant dix ans par les opérateurs de réseaux. En cela, elle maintenait l’interdiction faite à ces fournisseurs d’accès Internet (FAI) de bloquer l’accès à certains sites, de freiner certains contenus malgré les protestations depuis 2005 des opérateurs de télécoms, qui y voient un avantage indu accordé à Google et autres fournisseurs de contenu. Cette décision de l’administration Obama mettait un terme provisoire à dix ans de procès générés par les ambiguïtés de la loi sur les Télécommunications de 1996.
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