EDF

mars 2002

Entretien au Nouvel Observateur, Mars 2002.

Nouvel Observateur - EDF a présenté la semaine dernière des résultats en baisse de près de 30 %.. ...Au moment où l’ouverture du capital est en débat, cela tombe mal !
Elie Cohen - Cela aurait pu être pire. Sans la reprise programmée de provisions liée à la rénégociation des contrats de retraitement de déchets nucléaires avec la Cogema, qui a permis à EDF de récupérer un milliard d’euros les comptes tombaient carrément dans le rouge ! Cette dégradation des résultats résulte d’abord de la politique énergétique décidée par le gouvernement : la place croissante accordée aux énergies renouvelables, telle que l’énergie éolienne, extrêmement coûteuse, ont lourdement pesé sur les comptes. Il y a ensuite le coût du développement international qui a grevé la rentabilité. Il y a enfin les premiers effets de la concurrence.

N.O. - Mais cette course à l’International est-elle bien raisonnable ?
Elie Cohen - Elle est même vitale. Après neuf ans de débats, l’Europe a fait le choix de la libéralisation graduelle du marché de l’électricité. Au sommet de Barcelone, 14 pays européens, ont choisi d’accélérer le rythme de l’ouverture et la France a fini par y consentir. En 2004, 65% du marché sera ouvert à la concurrence. EDF, qui pressentait ces évolutions depuis longtemps, a compris la nécessité de se développer à l’étranger, ne serait ce que pour offrir un avenir à son personnel ! Si elle perd la moitié de son marché national, sans se développer à l’extérieur, comme la croissance de la consommation d’électricité est faible, ce sont les 2/3 de ses effectifs qu’il lui faudra supprimer ou placer chez ses concurrents !

N.O. - Mais ces acquisitions, avec le problème des « survaleurs », ont pesé très lourd sur les comptes...EDF ne risque t elle pas d’être victime du syndrome France Telecom ?
Elie Cohen - La stratégie d’Edf à l’international n’est pas limpide, l’entreprise tient elle vraiment à être un opérateur majeur en Amérique Latine ? S’agissant de l’Europe, jusqu’ici EDF a mis beaucoup d’argent pour acquérir des participations minoritaires. Le problème est qu’il faut passer la vitesse supérieure et prendre le contrôle opérationnel et capitalistique des entreprises partiellement contrôlées en Allemagne, Italie, Espagne ... Mais on est loin des folies de France Telecom. Il n’y a pas de bulle électrique, comme il pouvait y avoir une bulle télécom. De plus lorsqu’un nouvel entrant s’attaque à un marché, il surpaye toujours un peu son acquisition. EdF doit donc continuer et faire la preuve qu’elle peut gagner de l’argent dans des contextes plus difficiles.

N.O. - François Roussely a parlé de besoins de l’ordre de 18 milliards d’euros, dans les années à venir. Qui va payer ?
Elie Cohen - Pour l’instant, l’entreprise a consommé beaucoup du cash disponible. Mais elle va avoir besoin de moyens importants, pour transformer des participations en filiales, mais aussi pour réaliser les investissements nécessaires à la modernisation des équipements. L’Etat actionnaire n’apportera pas plus d’argent demain pour financer l’intrernational qu’il n’en a apporté hier pour financer le programme electro-nucléaire. Et donc même si EdF génère un cash formidable, elle aura besoin demain de capitaux frais pour financer sa croissance et son redéploiement. La libéralisation du marché, l’internationalisation, et la croissance génèrent des besoins en capital : voilà pourquoi il faudra ouvrir le capital d’EDF... C’est mécanique. Pas politique.

N.O. - Les salariés sont ils prêts à accepter cette ouverture du capital...La montée en puissance de Sud aux dernières élections n’est elle pas le signe d’un refus devant l’évolution ?
Elie Cohen - Cette poussée de Sud est un épiphénomène. Les politiques vivent avec le fantasme de la France plongée dans le noir. En vérité, les agents d’EDF sont prêts, d’autant que personne ne parle de remettre en cause leur statut ni leurs conditions de travail. Au total, la réforme d’EdF s’est étalée sur 15 ans, et la condition des salariés s’est améliorée. L’évolution millimétrique du statut à coûts croissants. c’est peut être ça, le modèle français !

N.O. - L’Etat doit il en céder le contrôle ? 
Elie Cohen - Je ne le pense pas. L’Etat doit maintenir une présence pérenne dans une activité aussi sensible que le nucléaire. Il ne s’agit donc pas de privatiser EDF, mais simplement de lui donner les moyens de se développer en ouvrant le capital. Il y a d’ailleurs maintenant un consensus politique sur cette question, avec simplement des différences de degré et de modalité. Les uns pensent que l’Etat doit simplement mettre une partie du capital en bourse. D’autres préféreraient faire entrer les collectivités locales et les salariés dans le capital avant de s’adresser à la bourse pour lever des fonds. Si la gauche gagne les élections, on peut lui faire confiance pour trouver les mots, ménager les symboles, et faire les adaptations nécessaires au nom de la défense du service public. Mais il y a urgence. Les compteurs tournent. Il faudra être en ordre de bataille pour 2004 !

N.0. - Justement, EDF est-elle prête ?
Elie Cohen. - Certes, EDF n’est pas gérée comme une entreprise qui compte ses sous... Un gestionnaire scrupuleux pourrait traquer les sureffectifs, les structures redondantes, les avantages indus. Mais il y a un prix à la réforme et EdF est riche. Sa chance, c’est encore une fois le nucléaire. Avec l’allongement de 10 ans de la durée de vie des centrales, plus le temps passé, plus la marge dégagée par un parc électrique amorti sera importante... Grâce à cela, et même si elle dissipe ses ressources, EDF reste la meilleure entreprise electrique européene

N.O. - Mais le choix du nucléaire est de plus en plus contesté...?
Elie Cohen - Oui, il faudra à terme diminuer la part du nucléaire. Mais cela a un prix : Entre l’énergie éolienne et le nucléaire amorti, le rapport en termes de coûts est de 1 à 10 ! Le président d’EDF a réclamé une hausse de tarifs de 5%, qui lui a pour l’instant été refusée par Matignon. Il faudra régler ce problème le moment venu . Un fond auquel devront abonder tous les nouveaux entrants sur ce marché est prévu à cet effet mais il ne faut pas se raconter d’histoire plus on fait de place à l’éolien et plus la facture du consommateur final s’alourdira. Au total, penser qu’on va remplacer le nucléaire par les éoliennes n’est pas sérieux. Le nucléaire est là, il est rentable et il nous permet de tenir les objectifs du protocole de Kyoto, car il ne rejette pas de gaz carbonique comme le charbon ou le pétrole. Bref le nucléaire offre aujourd’hui un double dividende économique et écologique et je ne vois guère d’ alternative crédible à l’horizon.


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