AOL - Time Warner : Quand les valeurs internet atterrissent
février 2000
Passé le moment d’enthousiasme communicatif de Steve Case et les commentaires hpyperboliques des média, la fusion AOL-Time Warner pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de réponses tant sur l’internet comme nouveau media, que sur la logique de l’intégration verticale entre fournisseur d’accès et éditeurs de contenus, ou sur l’évaluation des valeurs internet.
Souvenons-nous ; il n’y a pas si longtemps, la convergence numérique telecom-audiovisuel-cable était la stratégie la mieux partagée par les visionnaires. Sitôt élu, le Président Clinton, lançait le chantier des autoroutes de l’information, l’industrie se livrait à une débauche d’OPA et tous les grands acteurs investissaient dans la Video On Demand. TCI avec John Malone ouvrit la voie en convolant en justes noces avec Bell Atlantic ; il fut salué comme « l’infobahn warrior » . Time Warner convia le monde à Orlando dans une coquette maison où les portiers video jouaient les majordomes, où le « home theater » donnait accès grace à la VOD aux catalogues infinis du cinema mondial et où par simple telecommande sur la chaine de teleachat on pouvait se procurer des produits personnalisés. La croyance en ce monde du multimedia domestique et du large bande était telle que trois grands regroupements de telcos et d’éditeurs de contenus étaient réalisés : Mediaone, Americast et TeleTV.
Certes on pourrait considérer que ces fusions ratées, ces expériences inabouties, ces technologies devenues obsolètes avant même d’avoir été déployées, ont constitué le brouillon de l’ère de l’Internet. Mais il ne suffit pas, comme viennent encore de le faire Vivendi et Vodafone, d’additionner des clientèles, des technologies et des métiers pour créer des entités viables, des produits que les consommateurs achètent, des technologies que le public adopte. Il ne faudrait pas que le WAP qui enflamme aujourd’hui les valeurs de la téléphonie mobile connaisse le triste sort de l’ISDN, ou du DECT. Que le téléphone mobile soit un vecteur au même titre que le PC ou la TV de l’internet est acquis, que le Wap soit le standard de fait est discutable, que les 80 millions de clients de papier du futur portail puissent générer un chiffre d’affaires services équivalent à celui de la voix constitue un pari téméraire, que la maîtrise de contenus éditoriaux par Vivendi soit une assurance de fréquentation d’un portail est une assertion audacieuse.
De ce point de vue le mariage AOL Time Warner est éclairant. Ce n’est pas tant l’union d’une ancienne entreprise de communication (TW) apportant ses films, ses séries, ses magazines, ses chaines de TV, ses réseaux cablés et d’une nouvelle (AOL) apportant son navigateur, son activité de fournisseur d’accès et ses services, que celle d’une entreprise (TW) qui a échoué dans sa tentative d’agréger des contenus, de valoriser son infrastructure cable pour devenir un gros opérateur de services en ligne et d’une entreprise (AOL) qui a certes réussi à créer un portail avec des services propriétaires et à fidéliser 20 millions de clients mais qui n’a pas su négocier le passage au large bande. L’enjeu dès lors de cette fusion est de savoir si AOL réussira mieux que TW à valoriser les catalogues et la base de clientèle de TW et si cette stratégie de l’intégration verticale de contenus propriétaires sera gagante face à celle d’un Yahoo qui joue l’intégrateur universel de contenus non-propriétaires.
La fusion AOL-TW apporte une réponse à la question de l’évaluation des valeurs Internet. AOL avec un chiffre d’affaires 5 fois inférieur à celui de TW, des résultats 2 fois inférieurs et une capitalisation boursière deux fois supérieure se marie quasiment à parité (55-45) avec TW ce qui signifie qu’AOL paie une prime de près de 70%. Comme par ailleurs depuis l’annonce de la fusion les cours baissent, le nouveau groupe est valorisé à 28 fois l’Ebitda de 2001 alors que Viacom est à 20 et que l’ancien AOL était à 55. AOL réalise ainsi sa fusion au moment où sa valorisation avait sans doute atteint un sommet, il le fait en payant avec du papier un groupe aux actifs tangibles mais à la profitabilité médiocre. Le pari n’est donc pas seulement industriel, il est aussi financier. AOL ex-star d’Internet doit faire ses preuves dans le monde réel.
Voir en ligne : L’Expansion